La méthode de Paul Johnson

 

La méthode qu’utilise P. Johnson pour « prouver » l’identité des Maîtres puis la non existence de la Confrérie des Adeptes transhimalayenne, s’articule sur une subtile mystification du lecteur. Celle-ci s’organise au cours des pages, subrepticement, et prend le lecteur, tel un pêcheur dans son filet, par les procédés suivants :

  1. Il utilise le sérieux d’une documentation historique — démontrant de ce fait au lecteur le caractère « authentique» de sa démarche — pour asseoir ensuite, sans justification, la crédibilité de l’identification qu’il fait du Maître à tel individu.
  • Paul Johnson fournit, en effet, une excellente et très riche documentation sur le contexte historique et les personnage qui ont approché H.P.B. Ceci est remarquable notamment en ce qui concerne l’Initiation Soufie de la Fondatrice de la S.T., les accointances maçonniques de cette dernière et les liens l’unissant — à travers une Loge Occulte Egyptienne — aux Carbonari et à la Maçonnerie de la lignée de Cagliostro. Il offre, par ailleurs, une très bonne étude de personnages comme Charles Sotheran, Christopher Mackenzie et Albert L. Rawson. Le lecteur rencontre ainsi, par des récits basés sur des textes détaillés et référencés, le contexte des entreprises occultes auxquelles se trouvent présents tous les noms, notables ou discrets, de l’aventure spirituelle d’H.P.B., retracée dans les biographies de celles-ci.[1]
  • Une fois cette documentation éclairante posée, P. Johnson attribue un nom parmi ceux des personnages rencontrés par H.P.B. et figurant dans celle-là, à un Mahatma, sans qu’apparaisse alors une justification quelconque. Le sérieux de l’approche s’estompe dès qu’il s’agit de l’identification des Maîtres. Peu ou pas d’arguments susceptibles d’être retenus par un historien digne de ce nom n’étaie cette identification.
  1. Son discours relatif à l’identification des Maîtres, d’hypothétique — donc incertaine — devient très vite une « découverte » prouvée, fondée sur une contradiction. Il juxtapose ainsi une affirmation péremptoire à une incertitude initiale, procédé qui sera suivi tout au long de sa « démonstration ».
  • Il mélange, dans sa rédaction, l’affirmation d’une réalité certaine constatée par lui (le mode réel – indicatif) et l’incertitude liée à l’emploi du mode hypothétique (conditionnel) ; dans ce discours, haché d’assertions péremptoires et de doutes, le lecteur finit par retenir non pas l’identification elle-même (puisqu’elle fluctue) mais « une » identification que l’auteur, eu égard au sérieux de sa documentation, a certainement opérée.
  • Il ne cesse d’ailleurs d’affirmer au lecteur qu’il ne propose que des hypothèses puis, dans les pages qui suivent — sans doute le lecteur est-il trop stupide pour s’en souvenir — il assène des affirmations péremptoire qui, selon lui, sont de véritables découvertes historiques.
  • Il attaque ensuite sa démonstration par les termes : « il semblerait que »… « il est possible que.… », expressions qui expriment le manque de certitude imposée par la fragilité de l’argumentation au moment de sa présentation — fragilité dont l’auteur semble alors bien conscient — puis, au sein d’une documentation très riche qui éparpille l’attention du lecteur mais qui n’apporte aucune démonstration supplémentaire, il affirme, sûr de lui : « il est en réalité… » ; « il était la clé d’une conspiration internationale… » (Johnson Paul, In Search of The Masters : Behind the Occult Myth, P. Johnson, 1990, p. 180) ; ou, en synthèse : « Cette recherche a conduit à une série de découvertes inattendues qui permettent de prouver une fois pour toute la réalité des Mahatmas… » (op. cit, p. 118) — Il s’agit, bien entendu, des Mahatmas identifiés par l’auteur et non ceux de Mme Blavatsky.
  • Paul Johnson propose avec un certain doute une approche d’identité : « Il n’est pas improbable que Katkov lui-même soit un des Maîtres de la Théosophie… » (op.cit.p.133 – c’est nous qui soulignons). Puis, trois lignes plus loin, il affirme: « Que Mikhail Katkoff fut, en un sens, le supérieur de K.H. dans un groupe d’initiés sera démontré dans les chapitres qui suivent. » (op.cit.p.133 – c’est nous qui soulignons). Mais dans les chapitres qui suivent, rien n’est démontré !
  • L’incertitude de Paul Johnson sur l’identification qu’il propose est patente : il affirme, par exemple qu’il reconnaît le Mahatma Morya en ce révolutionnaire italien, Mazzini, puis, des chapitres après, il identifie ce même Maître au Maharadja Ranbir Singh.
  • Dans cet ordre d’idée, J. Algeo — un des meilleurs spécialistes actuels de Mme Blavatsky, avons-nous dit — précise, à propos de l’identification du Mahatma Morya : « Il n’y a pas d’évidence claire mais un paragraphe (136), qui tente de faire les connections nécessaires, comporte les formulations suivantes : « Il n’est pas invraisemblable… il peut avoir… il semble possible que… peut-être… aurait fait… pourrait avoir trouvé… pourrait avoir été… » Plus loin dans le chapitre, Johnson parle des « hommes identifiés plus haut comme les Mahatmas ». C’est ainsi qu’une éventuelle possibilité se trouve magiquement transformée en certitude ». (Theosophical History, V, N°7, p. 241 – c’est nous qui soulignons).
  1. Le discours de Paul Johnson s’appuie sur des contradictions et des ambiguïtés
Il reconnaît que dans la « réalité occulte » ou « spirituelle » qu’il se propose de cerner il existe des faits « inaccessibles à la recherche historique » — donc, en bonne logique, inaccessibles aussi pour lui — mais cette prise de conscience ne l’empêche pas de se déterminer implicitement, pour le point de vue de la « mystification » car il affirme avec assurance que :
  1. «…[H.P.B.] fit un mythe (mythologised) de sa recherche des Maîtres, de telle sorte que sa véritable quête demeurât secrète » (op. cit., p. 4).
  2. il n’existe pas d’autre réalité, derrière le jeu de masque employé par H.P.B. pour voiler l’identité des Adeptes réels, que des figures politiques et religieuses dépourvues de la transcendance spirituelle que leur prête leur « disciple ». (tout le discours de son second ouvrage : « The Masters Revealed : Madame Blavatsky and the Myth of the Great White Lodge, Albany : State University of New York Press, 1994).
Quelle transcendance spirituelle possède Paul Johnson qui lui permette d’en détecter le manque chez autrui ?
  • Son discours, par l’emploi d’expressions révélant l’incertitude — nous venons de le voir — est en totale contradiction avec l’assurance, pleine de présomption, de ses découvertes : « Cette recherche [la sienne] conduit à une série de découvertes inattendues qui permettent de prouver une fois pour toute la réalité des Mahatmas indiens de HPB : Morya, Koot Hoomi et Djual Kul. » (op.cit. p.118 – C’est nous qui soulignons).
  • Il affirme un fait qu’il contredit par une autre affirmation à la page suivante ! Il dit, en effet : « L’histoire de la première rencontre de la jeune Helena avec son Maître [le Mahatma Morya] à Londres en 1851, n’a jamais été confirmée. » (op.cit.p.134). Soit. Mais il ajoute plus loin : « …cette histoire [la rencontre à Londres avec le Mahatma Morya] est en fait basée sur la rencontre de Blavatsky avec Giuseppe Mazzini qui était exilé à Londres… » (op.cit.p.135 – c’est nous qui soulignons). Le lecteur, s’il a retenu la négation de quelque rencontre que ce soit avec un Maître — peu importe son identité réelle — formulée à la page 134 du livre de Paul Johnson, s’étonne de ce qu’une page après il y eût bien eu une rencontre avec ce même Maître — identifié à Mazzini par l’auteur !… P. Johnson confond, en fait, dans sa recherche, la réalité d’un événement — une rencontre a-t-elle eu lieu ? — avec la réalité d’une identité, celle de la personne rencontrée — c’était Mazzini, ou bien Morya ou bien encore X… !
  • Paul Johnson, oubliant sans doute Mazzini, n’hésite pas, quinze pages après, à affirmer la découverte de l’identité du Mahatma Morya : le Maharadja du Cachemire, Ranbir Singh ! (op. cit.p. 150).
  • J. Algeo souligne l’ambiguïté du tout discours de P. Johnson : « Johnson, en fait, ne définit jamais clairement sa thèse et semble fluctuer entre les deux versions de celle-ci. Parfois il s’exprime comme si Ranbir Singh était réellement un Instructeur dirigeant Blavatsky et pour lequel elle employait le pseudonyme « Morya ». À d’autres moments il écrit comme si « Morya » était une fiction modelée sur Ranbir Singh.» (T. H., p.239)
  • Pareillement, dans cette affirmation précitée (« Elle [H.P.B.] fit un mythe (mythologised) de sa recherche des Maîtres, de telle sorte que sa véritable quête demeurât secrète » (op. cit., p. 4).), nous ne savons pas si le fait de créer un mythe, par H.P.B., est un argument favorable à celle-ci eu égard à l’élévation — supposée — de sa quête secrète , ou si l’ensemble de l’appréciation est entièrement préjudiciable à la Fondatrice de la S.T.

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[1] Biographies suivantes :

  • « La Vie extraordinaire d’H.P. Blavatsky » de A.P. Sinnet(Ed. Adyar – 1ère de 1886) ;
  • « La Doctrine Secrète et Madame Blavatsky » de C. Wachtmeister (Ed. Adyar – 1ère de 1893 / Narration quasi quotidienne par un témoin oculaire de la manière dont H.P.B. écrit sa Doctrine).
  • « A la recherche de l’Occulte » de H.S. Olcott (Ed. Adyar – Sous ce titre a été traduit en français le premier volume de « Old Diary Leaves » du Colonel Olcott (Ed. ) ;
  • « Helena Petrovna Blavatsky ou la Réponse du Sphinx » de N.R. Nafarre (Ed. Nafarre – 1992 & 1995),
  • « The Extraordinary Life and influence of Helena Blavatsky, Founder of the Modern Theosophical Movement » de Sylvia Cranston – Ed. P. Putman’s Sons, New York – 1993 en anglais uniquement).