Les Maîtres orientaux

et la Formation de la Société Théosophique

La Société Théosophique naquit officiellement le 17 Novembre 1875 à New York. Elle fut fondée par plusieurs personnes dont Helena Petrovna Blavatsky, Henry Steel Olcott et William Quan Judge.

« Ce récit de l’origine et de la naissance de la Société est fort prosaïque et manque tout à fait du caractère sensationnel qu’on lui a parfois attribué. Mais il a le mérite de l’exactitude historique, car écrivant de l’histoire et non du roman, j’ai dû m’en tenir à ce que rapportent nos procès-verbaux et je peux prouver mes dires un à un. » (Cf. « Histoire authentique de la Société Théosophique » de Henry Steel Olcott — chapitres IX, Traduit de l’anglais par M. La Vieuville — Ed. Publications Théosophiques – Paris 1907).

La description de cet événement nous est donné par un des principaux Fondateurs, H.S. Olcott, dans « Old Diary Leaves ».

Une remarque s’impose : à la lecture des pages écrites par H.S. Olcott, il pourra apparaître à un esprit peu amène et critique à l’égard des Fondateurs que tout ceci ne fut qu’une improvisation assez inconséquente et que ce ne fut que plus tard — bien après 1875, donc — que s’élabora l’idée d’une « Mission », délivrée par les Maîtres aux dits Fondateurs, de créer pareille Société, devant porter tel nom, etc.

H.P. Blavatsky confia à la Comtesse Wachtmeister que lors de sa rencontre avec le Mahatma Morya à Londres en 1851, — vingt quatre avant, donc, la création de la Société Théosophique — ce dernier lui demanda sa coopération pour un travail. C. Wachtmeister écrit : « qu’il [le Maître] voulait lui [à H.P.B.] demander sa coopération pour un travail qu’il allait entreprendre. Il lui apprit que la Société Théosophique allait être formée et qu’il désirait qu’elle en fût la fondatrice. Il lui fit clairement entrevoir tous les soucis qu’elle aurait à endurer et lui dit aussi qu’elle devait passer trois années au Tibet afin de se préparer à cette tâche importante. Après trois jours de sérieux examen avec son père [le Comte Hahn, accompagnant sa fille à Londres] H.P.B. se décida à accepter l’offre qui lui était faite… » (« La Doctrine Secrète et Madame Blavatsky » de C. Wachtmeister -Ed. Adyar — p.85).

Au regard de ce qu’écrit le Colonel Olcott à ce sujet, il est patent que celui-ci ne voulût pas par trop s’étendre sur des motifs plus profonds, d’un ordre plus « occulte », ayant trait à cette Fondation qui semble si spontanée.

Par ailleurs, il sera intéressant de savoir que les Maîtres donnent au Disciple un « Plan Général », « une vue d’ensemble » du Message à délivrer, du travail à faire mais que, en ce qui concerne la mise en place de tout ceci, la forme dans laquelle se « coulera » le Message, le Disciple est totalement libre et… responsable.

Il ressort donc qu’un Plan de Travail existait dans l’esprit des Mahatmas mais que la forme par laquelle ce Plan se réaliserait restait de l’initiative d’H.P.B. : la formation de la Société Théosophique, par exemple; H. P. Blavatsky aurait pu écrire les ouvrages que nous connaissons et en rester là, quitte à les défendre ensuite par des articles ou par la création d’un journal non nécessairement lié à une Fraternité comme le furent « The Théosophist » ou « Lucifer ». Ce furent plutôt les circonstances qui dictèrent, ainsi que le compte rendu du Colonel Olcott le laisse voir, la formation de cette Société ; quant aux livres, ils furent écrits, nous avons assez de témoignages à ce sujet, sous l’égide des Adeptes ; toutefois, même en ce qui concerne ces écrits, la situation n’était pas fixée d’avance ; en effet, « La Doctrine Secrète » est une réponse aux réactions favorables qu’a suscitée dans le public la parution d’ « Isis Dévoilée » et il semblerait que ce fût à la fois cet accueil et cette faveur de l’Humanité envers la Connaissance qui incitèrent les Adeptes à aller plus loin dans l’ouverture partielle des Annales Occultes de notre planète. Ils voulurent donc « La Doctrine Secrète » : « Je n’ai pas entrepris de réécrire et de m’engager dans les ennuis de ce livre infernal pour ma douce joie… Le Maître ordonne et veut qu’il soit écrit et je le ferai… » écrit H.P.B. à A.P. Sinnet (Cf. Letters of H.P.B. to A.P. Sinnet, pp. 87-89). Quant au Colonel Olcott il confie à son journal du 9 janvier 1885 : « H.P.B. a reçu du Maître M. le plan pour La Doctrine Secrète. Il est excellent…. » (Cf. H.S. Olcott, op. cit.).

Toutefois, une fois créée, la Société Théosophique devient, pour les Adeptes, le vecteur de la divulgation de l’ancienne Théosophie (voir « Qu’est-ce que la Théosophie ? » et ceci est bien logique : le disciple choisit un mode d’expression pour accomplir le travail qu’Ils lui ont confié et une fois ce mode déterminé, Ils le soutiennent. D’ailleurs le Mahachoan dit « La Société Théosophique a été choisie pour constituer la pierre d’angle, le fondement des futures religions humaines. » (Lettres des Maîtres de la Sagesse — Ed. Adyar – t. 1 – p.13).

De fait, le « temps était venu » car, selon les injonctions de Tsong Kapa (XVe siècle), la Confrérie secrète d’Adeptes transhimalayens — nommée aujourd’hui « Grande Loge Blanche » — devait, au cours de chaque dernier quart de siècle, délivrer un Enseignement susceptible d’aider l’Humanité, par la Connaissance, à progresser spirituellement et à se délester, donc, de ses appétits matériels.

H.P. Blavatsky elle-même précise : «Pendant le dernier quart de chaque siècle, ces « Maîtres », dont j’ai parlé, font une tentative en vue de favoriser, d’une façon nette et marquante, le progrès spirituel de l’Humanité. Vers la fin de chaque siècle, vous trouverez invariablement un déversement d’énergies ou un bouleversement dans le sens de la montée dans le domaine de la Spiritualité ou, si vous préférez, du Mysticisme. À ces époques, une ou plusieurs personnes se révèlent dans le monde comme agents des Maîtres et on voit se répandre, sur une échelle plus ou moins grande, un Enseignement et une Connaissance occultes. Si vous en aviez l’envie, vous pourriez suivre la trace de ces mouvements en remontant de siècle en siècle aussi loin que s’étendent les annales historiques détaillées que vous possédez ». (Cf. « La Clé de la Théosophie » — Ed. Adyar – p. 319).

Que ce Message réussisse d’une part à passer au moment où il est délivré et, d’autre part, à porter ensuite ses fruits, là est vaste problème ! En effet, les « forces adverses », tapies au fond de l’inconscient humain, se galvanisent toujours pour faire obstacle à tout changement de sa propre nature ; par conséquent, l’Histoire montre qu’un décalage existe toujours entre le moment où le Message est délivré et celui où il commence à être accepté et utilisé par l’Humanité ; dans ce processus, la plupart du temps, l’Émissaire est mis en pièces…

Ce Message peut prendre la forme de la création d’une Organisation Occulte, ou bien d’une influence tendant à changer l’ordre politique, ou encore à délivrer publiquement un Enseignement. Nous pouvons considérer quelques exemples touchant les six derniers siècles :

  • dernier quart du XVe siècle : la Fraternité Rose+Croix, initiée par Christian Rozenkreutz en Allemagne en 1459 commence à émerger en Europe ; à la même époque, Theophrast Bombast von Hohenheim, dit « Paracelse » (Kabbaliste, Alchimiste, etc.) évite le bûcher et fonde la véritable médecine.
  • dernier quart du XVIe siècle : l’Europe des Hermétistes continue de s’organiser clandestinement et Giordano Bruno enseigne publiquement le Platonisme, réhabilite le Paganisme Antique et sa Sagesse et tente secrètement une marche armée sur Rome afin de détrôner l’imposture papale[1] ; nous savons comment il finit, emporté par les flammes du bûcher, par un sinistre jour de janvier 1600, au Campo dei Fiori à Rome.
  • dernier quart du XVIIIe siècle : le Comte de Saint Germain tente, en vain, d’inspirer à Louis XV des changements impératifs en matière politique ; cette tentative restera aussi vaine auprès de Louis XVI qu’il ne put rencontrer que de Marie Antoinette, qu’il rencontra mais qui ne le crut pas. A la même époque, soutenant ce Programme de Réformes, via les Loges Maçonniques, A. de Cagliostro tente, en vain aussi, de délivrer un Enseignement véritablement occulte à ces Loges ; dépassant les nécessités politiques du moment, sans les négliger, il essaie de montrer qu’un Savoir Ancien sous-tend toutes les Religions et que l’Égypte est, pour l’Occident, le berceau de sa Sagesse perdue. Comment tout cela finit-il ? Par une Révolution sanglante non voulue (les Réformes étaient voulues) et le rejet de tout Occultisme dans la Maçonnerie. Le premier, traité d’imposteur, disparut aux yeux de tous ; le second, torturé, enfermé dans un cachot, vit son honneur discrédité (un « imposteur », un « charlatan », etc.) et, ce qui est pire, le Message exclu. Toutefois, à partir de cette fin de siècle, les données changent, les mentalités se bouleversent : la Révolution a fait malgré tout son œuvre et les esprits ont soif de connaissances, voulant en finir avec l’obscurantisme ecclésiastique imposé dans les siècles précédents. La liberté politique gagnée ne peut que marcher avec la liberté de penser et d’apprendre. (Voir « Le Programme des Adeptes »)
  • dernier quart du XIXe siècle : il fallait reprendre le flambeau et continuer à enseigner à cette Humanité rebelle, victime de ses Institutions (l’Église qui persiste, la Science matérialiste qui pointe) et aussi des rejets suscités par son ignorance. C’est à ce moment précis de l’Histoire européenne que se situe « le Travail » des Maîtres confié à H.P. Blavatsky. Nous connaissons l’issue de ce Message : discréditée, l’Émissaire mourut alors que le grand public la traitait d’ « imposteur ». Reconnue pour ce qu’elle était vraiment par ceux qui la connurent de près, par les authentiques spécialistes en matière de Tradition occulte (le IXe Panchen Lama, Daisetz Teitaro Suzuki, le Lama Kazi Dawa Sandup, Eugène Burnouf, Mohandas Karamchand Gandhi[2], etc.) et par les scientifiques à l’esprit en quête de vérité (Camille Flammarion [astronome], Thomas Edison [inventeur], Gaston Maspero [égyptologue], Albert Einstein [physicien], Max Plank, Sir William Crookes [chimiste et physicien], etc. — Voir Helena Petrovna Blavatsky — Éléments biographiques), H.P. Blavatsky et son œuvre commencent — seulement en cette fin de XXe siècle ainsi qu’elle l’avait prédit — à être perçus du grand public.

Ce « Plan de Travail » des Maîtres consistait à délivrer :

  • d’abord une autre approche du Spiritisme
  • puis un Enseignement devant éclairer la pensée spirituelle de l’Occident sur des vérités occultes.

1° — Une autre approche du Spiritisme. Pourquoi commencer par le Spiritisme ? Parce que le phénomène de la mort sensibilise tout un chacun et nul ne peut rester indifférent devant la perte d’êtres chers et devant l’issue de sa propre vie. Savoir que l’être humain n’est pas uniquement un amas de chair, de viscères, d’organes, d’os et un flot de sang mais aussi un ensemble constitué d’une substance subtile — invisible — dont la subtilité d’ailleurs suit une gradation continue en ténuité, ce tout servant de support, de « véhicule » à l’Esprit Unique, voilà un message que ce XIXe siècle par trop positiviste devait entendre. En effet, depuis Lavoisier, la Science prit un cours matérialiste et la négation de l’existence d’un monde invisible devenait l’assise de toute pensée « sérieuse ». C’était faire peu de cas de la souffrance humaine face à ce néant noir qui devait s’ouvrir devant chacun, pensait-on, après la mort.

D’un autre côté, les séances spirites, très à la mode depuis le XVIIIe siècle, étaient, du point de vue occulte, de véritables nids de vipères : le médium ne savait pas vraiment ce qui lui arrivait, ce qu’il subissait ou non, qui se manifestait véritablement — quelle était « l’identité » réelle du revenant — au cours de la séance et ce qu’il advenait de sa propre énergie vitale et de celle des assistants. Les spirites, de plus, croyaient que le « royaume des morts » était l’authentique « royaume spirituel » avec toute la connotation positive que ce dernier adjectif implique. Ils s’ouvraient ainsi, sans le savoir, à de véritables impostures opérées par ces entités évoquées dont les messages étaient reçuscomme le Saint Sacrement…

Rassurer, par conséquent, ceux qui croyaient douloureusementen un néant post-mortem et enseigner aux spirites les rudimentsdes Sciences Occultes.

C’est ce que réalisa H.P.B. — ou tenta de réaliser — d’abord au Caire (où elle échoua) puis aux Etats Unis à partir de 1874 — avec succès, cette fois-ci — lorsqu’elle rencontra le Colonel Olcott à la ferme des Eddy. Une grande partie de leur travail, jusqu’en 1878, fut consacrée à cette partie du « Plan ».

2° — Un Enseignement devant éclairer la pensée spirituelle de l’Occident sur des vérités occultes.

L’éveil de la pensée occultiste, dès la fin du Moyen-Âge et pendant les siècles suivants, infusée par les Rose+Croix, les Alchimistes, les penseurs et théurges (commeG. Bruno, le Comte de Saint Germain et le Comte de Cagliostro,etc.), enfin par la publication de toute une littérature mi-souterraine qui attisait les esprits ( le XVIIIe siècle en fut friand ; que l’on songe au succès du livre de Montfaucon de Villars, « Le Comte de Cabalis »…), fit de la fin du XIXe siècle un terrain propice à l’émergence d’un Enseignement plus complet, plus « coordonnateur » des éléments épars et tronqués de l’Hermétisme occidental que celui-ci véhiculait depuis la mise à mort de la Sagesse Antique dès le IVe siècle de notre ère.

C’est ce que H.P.B. réalisa :

  • en créant avec le Colonel Olcott la Société Théosophique (1875) ;
  • en écrivant « Isis Dévoilée » (1877) ;
  • en enseignant la Doctrine Hermétique — à partir de 1878 — par des conférences aux Indes et des articles publiés dans un journal nouvellement créé « The Théosophist », puis dans « Lucifer » ;
  • en rédigeant son œuvre magistrale qui contient des révélations uniques sur l’Histoire occulte de l’Univers et de notre planète : « La Doctrine Secrète » ;
  • en poursuivant cet Enseignement aussi bien auprès de disciples que dans le Cercle privé, à Londres, un peu avant sa mort.

Dans une lettre conservée dans les Archives d’Adyar à Madras (Inde) datée du 24 février 1888, H.P. Blavatsky confie :

« C’est moi qui ai introduit la preuve de nos Maîtres au monde… Je l’ai fait parce qu’Ils m’ont envoyée pour faire le travail comme une expérience neuve au XIXe siècle et je l’ai fais aussi bien que je savais… ».

A l’instar, donc, de ses prédécesseurs des siècles passés, H.P.B. accomplit le « Travail » des Maîtres pour ce qui concerne son propre siècle et, à l’instar de ces mêmes prédécesseurs, elle subit injures, trahisons et calomnie. Si la « Sainte » Inquisition avait pu l’envoyer au cachot, sinon au bûcher, elle l’eût fait… mais ses contemporains se chargèrent de lui infliger la prison du ridicule et le bûcher de la calomnie.

« Les Grands Êtres vivent, rêvent, sentent au-delà du temps, par-delà l’Histoire, ce filet complexe d’événements dans lequel nous autres vivons prisonniers. La force de leurs sentiments élevés leur permet de « voir » au loin ce que nous autres osons à peine pressentir. Cette énorme différence de perspective rend difficile la communication entre « Eux » et « nous ». Et, cependant, nous avons besoin les uns des autres, d’une façon si intense et parfois si désespérée, que l’histoire des efforts que nous avons faits pour nous relier est remplie de faits mémorables. Peut-être que les pages les plus belles et les plus suggestives de la grande histoire de l’humanité ne furent, en réalité, que des épisodes plus ou moins heureux de ce dialogue mystérieux, bien qu’il n’apparaisse pas comme tel ou ne soit même pas mentionné. Helena Petrovna appartient à cette liste, heureusement longue, de personnages inspirés par la puissante Lumière de la Sagesse millénaire… »

(Maria Dolorès Fernandez-Figares, article écrit dans
« H.P. Blavatsky – Réflexions sur l’actualité de ses Enseignements ésotériques »
Ed. Nouvelle Acropole – 1991 – p. 127).

 


[1] Voir l’admirable ouvrage empli de références, dont de nombreux extraits du procès-verbal du procès de G. Bruno, de Frances Yates « Giordano Bruno et la Tradition Hermétique » – Ed Dervy-Livres.(11-4-3)
[2] Parlant de Mme Blavatsky, qu’il avait rencontrée à Londres où des théosophes lui avaient fait connaître la Bhagavad-Gîtâ (qu’il leur avoua à sa honte n’avoir jamais lue), M.K. Gandhi a rappelé à son biographe (Louis Fischer) qu’au début les chefs de file du Congrès étaient des théosophes, en ajoutant :

« La Théosophie est l’enseignement donné par Mme Blavatsky […]
C’est l’hindouisme dans ce qu’il a de meilleur »
.
Et par deux fois il insista : « La Théosophie, c’est la fraternité des hommes ».