Giordano Bruno Œuvres complètes

Giordano Bruno (1548-1600)

PLUS on est intelligent, plus on est couillonné… » Telle serait sa dernière phrase. Il l’aurait prononcée distinctement, juste avant qu’on ne fixe le mors de bois destiné à l’empêcher de parler, de hurler une dernière fois. L’homme est nu. Il a cinquante-deux ans. La foule l’entoure. Le bûcher consume ce corps qui n’a cessé de rire, de penser, de s’émouvoir et de provoquer. C’est à Rome, le 17 février 1600, sur le Campo dei Fiori. Giordano Bruno n’a pas cédé devant l’Inquisition. Il n’a rien abjuré de sa vision du monde. Ses livres ont été brûlés place Saint-Pierre. A présent, lisons. Encore faut-il, pour cela, apercevoir puis écarter diverses figures de ce philosophe artiste. Elles aident à l’approcher, mais risquent aussi d’égarer. Celle du rebelle errant est la mieux connue. Filippo Bruno naît à Nola, non loin de Naples, en 1548. Enfant doué, il manie dès sept ans le latin couramment. Filippo change de prénom : pour entrer à dix-sept ans dans l’ordre des dominicains, il se fait appeler Giordano, comme le maître qui lui a fait découvrir la philosophie chez Averroès. Avide de tout lire et de tout éprouver, il rompt ses vœux dix ans plus tard. Et les voyages commencent. De Venise, où il publie à trente ans son premier livre, aujourd’hui perdu, à Venise, où l’Inquisition l’emprisonne quatorze ans plus tard, son chemin passe par Genève, Lyon, Montpellier, Toulouse, Paris, Londres, Oxford, Paris, Wiesbaden, Marbourg, Prague, Francfort, Zurich. Trois fois excommunié : par les calvinistes à Genève, les luthériens à Wittenberg, les catholiques à Rome. Et toujours en joie dans la fuite. Il multiplie les textes et les imprudences, joue de tous les registres, du théâtre au pamphlet, du sarcasme au traité. Jusqu’aux cachots de la fin, où il macère sept ans. Torturé peut-être, mais sachant ne pas se renier. Mal protégé par les politiques, ennemi de tous les pédants, amoureux de la vie sous toutes ses formes : étoiles, animaux, coucheries, livre…, Giordano Bruno a fait de son existence un roman picaresque. Mais ce tragi-comique, s’il est parlant, est pour une part un leurre. En suivant la trajectoire de cette « comète à travers l’Europe » — la formule est de Hegel, — on risque d’oublier de lire son œuvre. Le nomade hérétique et martyr est une belle figure. Son attrait ne doit pas détourner des textes du philosophe. Des textes difficiles à lire. D’abord pour des raisons toutes matérielles : une grande partie de ses ouvrages, rédigés en italien ou en latin, ne sont pas encore traduites en français. Ensuite parce que leur contenu et leur forme déconcertent. Bruno n’aime guère les exposés systématiques ni les traités pesants. Philosophe à sang chaud, il préfère les dialogues, les polémiques, les formes poétiques, les allusions et les allégories. Dernière difficulté : on ne sait, en le lisant, où le ranger. UN précurseur ? Cela semble évident. Combattant l’autorité d’Aristote et la dogmatique de l’Eglise, il participe du grand ébranlement intellectuel où se constituent les savoirs scientifiques modernes, depuis Copernic, Kepler et Galilée, ses contemporains — jusqu’au Siècle des Lumières. Et il imagine plus loin que les astronomes de son temps. L’univers, selon Bruno, est dépourvu de centre. Dans ce cosmos infini et en incessante mutation, existe à ses yeux une multitude de mondes divers. Un siècle avant Fontenelle et ses Entretiens sur la pluralité des mondes habités (1686), cet « académicien sans académie », comme il se dénomme, affirme que la vie dans l’univers n’est pas une rareté. Car Dieu est partout. Loin d’être une cause première, séparée, extérieure, transcendante, il est d’après Bruno un principe actif au sein de chaque chose, fût-elle infime. Ce Dieu immanent que le monde accompagne nécessairement (non c’é Dio senza mondo : pas de Dieu sans monde) annonce le « Dieu, c’est-à-dire la Nature » de Spinoza. C’est également Leibniz que Bruno préfigure. Dans son traité en latin intitulé De la monade, il soutient que chaque existence, même élémentaire, contient en elle la totalité du divin. Alexandre Koyré, parlant de la vision « puissante et prophétique » de Bruno, ou Ernst Cassirer, soulignant que pour ce philosophe « la force de la raison constitue l’unique mode d’accès à l’infini », avaient bien vu cette face de sa pensée tournée vers l’avenir. Il en est une autre tournée vers le passé. S’il se bat contre les dogmes de son temps, pourfend la scolastique et les « balourdises diplomées », Bruno reste fortement tributaire d’un outillage intellectuel hérité de la tradition. Ses travaux sur les arts de la mémoire, inspirés principalement de Raymond Lulle, appartiennent à ce registre. Il s’inscrit par ailleurs dans diverses lignées de penseurs de l’hermétisme, quêteurs de gnose, théoriciens de la magie, vitalistes attribuant à tout corps physique une âme vivante. De telles intuitions ne mènent pas à des calculs. Du coup, les interrogations cosmiques de Bruno ne peuvent conduire à des connaissances scientifiques. Ce n’est pas un homme du savoir, au sens que ce terme prend après Galilée. C’est un visionnaire, un penseur d’imagination, une flamme ondoyante. L’avènement de l’exactitude objective, des expérimentations, des lois mathématiques range ce genre de mage au fond d’un placard. VOILÀ qu’il en sort un écrivain. Pour lire Bruno, puisque cela redevient possible, sans doute faut-il, sans les oublier, mettre de côté le rebelle martyr, le prophète des idées neuves et le gardien des vieux secrets. Se souvenir constamment qu’il invente, en écrivant, de nouveaux dispositifs pour la pensée, entre dérision et décision, entre cosmique et comique. Ce n’est pas par hasard si James Joyce, sur qui Bruno exerça une influence déterminante, fait de lui, « plus que Bacon ou Descartes », « le père de celle qu’on appelle la philosophie moderne ». Ecrivain d’une pensée instable, éclatée, où la bêtise et le divin se frôlent, Bruno mêle scatologie et cosmologie, langue savante etpopulacière. Chandelier, sa première œuvre conservée, publiée en italien à Paris en l’an 1582, est une longue comédie débridée, sans intrigue qui se tienne, mais d’une verve infinie. On y voit, par exemple, des « pédants mastiquer des théories, flairer des opinions, cracher des maximes, pisser des citations ». On y pressent déjà le boudoir des libertins : « Une des femmes de cette histoire décochera des regards célestes ; elle vous fera voir combien sont enflammés ses soupirs, aquatiques ses méditations, terrestres ses désirs, aériennes ses fouteries. » Loin de la philosophie ? Pas sûr. Bruno pense en riant, en pleurant, en injuriant, en aimant, en s’émerveillant, en changeant de ton, de registre, de phrase. Il voulut être tout _ aussi changeant, multiple et imprévu que le réel. Aussi n’a-t-il pas seulement parcouru l’Europe des universités, des églises et des cours royales. Il a voyagé d’abord entre les langues et les disciplines, décentrant l’écriture et la pensée. Semblable à l’âne qu’il dépeint tour à tour répugnant, oisif, arrogant, puis laborieux, endurant, obstiné, Giordano Bruno explore interminablement les marges où savoir et ignorance se rencontrent. Il brûle encore.

© Roger Pol (paru dans Le Monde du 12 Mars 1993)

  ŒUVRES COMPLÈTES T1 : LE CHANDELIER traduit de l’italien par Yves Hersant — préface et notes de Giorgio Barberi Squarotti BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 215.00 FRF / 32.78 Euros

L’œuvre de Giordano Bruno (1548-1600) reste largement méconnue du public français. La présente collection, qui devrait comporter une vingtaine de volumes, se propose d’offrir une édition critique complète de ses textes. Le « Chandelier » est une comédie en cinq actes, publiée à Paris en 1582, violente parodie du théâtre italien de la Renaissance.

ŒUVRES COMPLÈTES T2 : LE SOUPER DES CENDRES traduit de l’italien par Yves Hersant — préface Adi Ophir BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 240.00 FRF / 36.59 Euros

En cinq dialogues, G. Bruno propose une triple réflexion : sur l’état de l’univers, sur l’état de l’Angleterre et sur l’état du discours. La cosmologie brunienne y côtoie en effet le récit d’une étrange équipée dans les rues de Londres ainsi qu’une attaque en règle des savants d’Oxford, de leur science et de leur rhétorique aristotéliciennes. « Voici alors apparaître l’homme qui a franchi les airs, traversé le ciel, parcouru les étoiles, outrepassé les limites du monde… En pleine conformité avec les sens et la raison, c’est lui qui avec les clefs de sa compétence a ouvert par ses recherches ceux des cloîtres de la vérité auxquels nous pouvions avoir accès. Il a mis à nu la nature, que des voiles enveloppaient ; il a dénoué la langue des muets, qui ne savaient ni n’osaient démêler l’écheveau de leurs pensées ; il a rebouté les boîteux incapables de parcourir en esprit le chemin inaccessible au corps vil et périssable. »

ŒUVRES COMPLÈTES T3 : DE LA CAUSE, DU PRINCIPE ET DE L’UN traduit de l’italien par Luc Hersant — préface de Michèle Ciliberto BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 275.00 FRF / 41.92 Euros

Ce dialogue aborde les grands thèmes de la métaphysique : rapport entre Dieu et le monde, nature de l’âme, structure du monde matériel. Pour Giordano Bruno, qui s’en prend à toute la tradition métaphysique et théologique, les principes matériel et formel ne font qu’un : il procède à une très importante réévaluation de la matière.

ŒUVRES COMPLÈTES T4 : DE L’INFINI, DE L’UNIVERS ET DES MONDES traduit de l’italien par Jean-Pierre Cavaillé introduction de Miguel Angel Granada — notes de Jean Seidengart BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 305.00 FRF / 46.50 Euros

Dans ce texte essentiel pour les historiens des sciences et de la philosophie, publié à Londres en 1584, Giordano Bruno expose ses thèses sur l’infinité de l’univers, attaquant les positions prises par Aristote dans le « Traité du soleil ». Le De infinito expose la conception de l’infini, de l’univers et des mondes qu’avait Giordano Bruno. Dans ce dialogue apparaît pour la première fois la conscience que Bruno a de sa mission de philosophe : détruire la fausse image de l’univers défendue par les péripatéticiens, autrement dit détruire les chaînes qui ligotent l’homme à l’intérieur d’un espace clos, et plus encore : détruire les hiérarchies existant entre les êtres vivants. Dans le cosmos infini de Bruno, les ensembles d’atomes les plus petits comme les plus grands ont la même importance : dans l’univers infini, il n’y a pas de centre absolu, et donc tout peut être à la fois centre et périphérie. De première importance pour les historiens des sciences et de la philosophie, ce livre, encore aujourd’hui, présente également le plus grand intérêt pour la manière originale dont il affronte tous les grands thèmes de la modernité. Quatrième volume de la série des Œuvres italiennes de Giordano Bruno, cette édition est complétée par un important appareil critique.

ŒUVRES COMPLÈTES T5 : L’EXPULSION DE LA BÊTE TRIOMPHANTE traduit de l’italien par J. Balsamo — introduction de Nuccio Ordine — notes de M. Pia Ellero BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 395.00 FRF / 60.22 Euros

Une critique du protestantisme et de la théologie chrétienne. Préoccupé par le déclin des valeurs parmi les hommes, Jupiter décide d’effectuer une réforme morale en substituant dans le ciel l’image des vertus à celle des constellations païennes. Bruno a écrit ce texte en même temps que son protecteur La Mauvissière écrivait ses « Mémoires », où l’on retrouve les mêmes critiques « politiques ».

ŒUVRES COMPLÈTES T6 : LA CABALE DU CHEVAL PÉGASE traduit de l’italien par Bertrand Levergeois BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 175.00 FRF / 26.68 Euros

Le savoir et l’ignorance : tel est le sujet de cet essai philosophique, publié en 1584. Sous forme de dialogues audacieux sont discutés les dogmes scientifiques hérités de l’Antiquité. Bruno, anti-aristotélicien, démonte la pseudologique du scientisme et du positivisme. Le détour par l’ignorance est nécessaire pour accéder à la connaissance d’où la présence de l’âne, (le cheval pégaséen du titre) symbole d’une approche humble du savoir. Satire qui poursuit la critique engagée dans « L’Expulsion de la bête », cet ouvrage présente le portrait du nouveau philosophe : un âne ailé dont le savoir, limité au regard des dieux, doit combattre l’ignorance illimitée des hommes.

 
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