Thèmes généraux

Jean Pic de la Mirandole (1463 – 1494)

Philosophe italien. Surnommé le « Prince des érudits » à l’université de Padoue, il apprend l’arabe, l’hébreu et l’araméen et s’initie à la kabbale. Après un séjour en France, il se rend à Florence où il découvre Platon auprès de Marsile Ficin, le néo-platonisme et les livres hermétiques. Ses 900 thèses ou Conclusiones philosophicae, cabalisticae et theologicae sont condamnées par la curie romaine, et lui-même, déclaré hérétique, se réfugie en France. Plus tard, de retour à Florence où il s’installe sous la protection de Laurent de Médicis, il rédige son Heptalus (exposé des sept aspects de la création) et son De Ente et Uno, tout en se liant à cette époque avec Savonarole. Pic de La Mirandole ne se contente pas de montrer les liens entre les différentes religions, il analyse également la Bible et interpréte le christianisme à l’aide des théories de la kabbale.

CE QUE LA CULTURE DOIT AUX ARABES D’ESPAGNE traduit de l’espagnol par Gabriel Martinez Gros Vernet Henri | Éditions Acte Sud – Simbad 138,00 FRF / 21,04 Euros

Panorama historique, magistrale synthèse et savante vulgarisation, ce livre veut faire l’inventaire de ce que la Culture Occidentale doit aux Arabes d’Espagne. Ici, le mot « arabe » renvoie à une langue. Langue de la transmission des savoirs les plus divers de l’Antiquité, de l’Orient ancien et du Monde musulman au Moyen-Âge occidental. Ces savoirs, l’Islam les accrut d’apports décisifs, qu’il s’agisse de la Philosophie, des Sciences, de la Médecine, de la Géologie, du Nautisme, de l’Astrologie, des Arts, de la Musique, de l’Architecture… Cet héritage andalou a littéralement changé l’Europe médiévale et sa conception de l’amour ; puis il a nourri le majestueux déploiement scientifique de la Renaissance.

DE THOT- HERMÈS A LA TRADITION PRIMORDIALE: ORIGINES SECRÈTES DE L’HUMANITÉ Delaage Guillaume | Éditions Ramuel | 129.00 FRF / 19.67 Euros

Les manipulateurs de la vérité ont inculqué à des générations successives leurs diktats, verrouillant tout accès à la Connaissance. C’est ainsi que l’on a soigneusement caché, falsifié ou brûlé des documents inestimables qui renfermaient les Annales de l’Humanité. L’Histoire fut remaniée… Ce complot, qui se poursuit toujours, a provoqué, il y a bien longtemps, un cataclysme détruisant une formidable civilisation, créée par des Êtres extraordinaires. Ces plans obscurs pourraient constituer les ingrédients d’un incroyable drame cosmique ayant pour enjeu la Terre et notre évolution. En fait, la réalité dépasse la fiction car ce livre dévoile les fondements d’une Histoire oubliée, mouvementée et douloureuse, celle de l’Humanité, dont on retrouve les traces dans les plus anciennes légendes et la plupart des textes sacrés de tous les continents. L’auteur nous entraîne dans le sillage des Écoles de Mystères de l’Antiquité, héritière d’un dépôt sacré : la Tradition Primordiale et de Thot-Hermès, énigmatique Messager du Monde lointain de Sirius. Très documenté, cet ouvrage révèle des informations inédites sur les origines secrètes de l’humanité qui s’apprête à franchir le troisième millénaire.

GIORDANO BRUNO ET LA TRADITION HERMÉTIQUE Yates Francès | Éditions Dervy | 149.00 FRF / 22.71 Euros

Une étude capitale de l’Hermétisme dans la Pensée de la Renaissance. Giordano Bruno, dominicain condamné au bûcher en 1600, apparaît comme un Philosophe et un Mage lié à l’Hermétisme, porteur d’un message religieux original. Ses concepts relatifs à un Univers infini et habité, au Paganisme comme authentique vecteur de l’Hermétisme, à la Gnose égyptienne comme fondement de l’aventure spirituelle de Jésus, et enfin, à la réfutation de l’Aristotélisme au profit du Platonisme, firent de lui une proie d’exception pour l’Inquisition. Son supplice stupéfia l’Europe. En marge de la divulgation de sa Philosophie hermétique, G. Bruno paraît avoir eu des contacts avec Henri IV avant que ce dernier n’accède au trône afin d’influer, même par la force, sur l’Église de Rome, forteresse de l’obscurantisme. Des pages entières sur les minutes du procès de Bruno sont citées et révèlent l’inquiétude des instances catholiques à l’encontre d’un complot qui pourrait l’abattre par ces temps agités. L’Hermétisme de la Renaissance suscita, en définitive, de nouvelles attitudes envers le Cosmos et l’utilisation de forces cosmiques. C’est en cela qu’il donna une base aux investigations de ce qui devint la Science moderne. L’étude de Francès Yates est véritablement novatrice et modifie la vision communément admise de la Renaissance.

LES ÉGRÉGORES : FORCES PSYCHIQUES DES GROUPES HUMAINS Brethes Alain | Éditions Oriane | 120.00 FRF / 18.29 Euros

Jusqu’à ce jour, la réalité des Égrégore a été ignorée du public et ne fut connue que des seuls Initiés au cours de l’Histoire. Dès qu’un groupe se constitue, un Égrégore se crée. Celui-ci est la somme des énergies psychiques et mentales émises par chacun des membres du groupe concerné. L’ensemble de ces mouvements vibratoires exerce une puissante influence sur ces derniers. Un Égrégore est donc une « forme-pensée » ou « idée-force » de qualité neutre qui se colore, pour le meilleur ou pour le pire, des intentions du groupe. Selon la qualité vibratoire des énergies émises par chaque membre, Égrégore ainsi créé enchaînera les participants ou au contraire contribuera à un épanouissement personnel. Dans cet ordre d’idée, sont constitués — et analysés ici — Égrégore des Ordres Initiatiques ou celui de sectes peu sûres. Un livre important sur une mise en garde nécessaire.

PHILOSOPHIE OCCULTE À L’ÉPOQUE ÉLISABÉTHAINE YATES Francès | Éditions Dervy | 155 FRF / 23.66 Euros

Cet excellent ouvrage d’érudit explore la Philosophie Magique — et gardée secrète — qui est une des principales sources de certaines grandes œuvres de l’Art et de la Littérature de la Renaissance. Ceci constitue une part fondamentale de l’héritage culturel européen. L’auteur démontre magistralement – et avec force références savantes et incontestables – la présence de la Pensée Occulte et Mystique dans une époque que l’on croit communément dédiée à « la raison raisonnante ». La Kabbale, la Philosophie Hermétique, l’Alchimie étaient enseignées, en ce temps là, dans des « écoles de nuit » en Europe et dans l’Angleterre d’Elisabeth 1ère dont le célèbre Astrologue, John Dee, fut le divulgateur des fameuses « Tablettes Enochiennes ».

LES PREMIERS MEDICIS ET L’ACADÉMIE PLATONICIENNE DE FLORENCE Beresniak Daniel | Éditions Detrad | 112.00 FRF / 17.07 Euros

Ce livre veut présenter « l’Académie Platonicienne » de Florence (Italie), fondée par Cosme l’Ancien en 1459. Il s’agit d’un véritable monastère laïque, ouverts à tous les hommes de talent, sans distinction de religion. Marsile Ficin et ses amis, Guido Cavalcanti, Pic de la Mirandole, le Dr Fortuna, – éminent kabbaliste – le Politien, Laurent le « Magnifique », collaborèrent à cette institution, véritable « Abbaye de Thélème » dont parle Rabelais. Par une excellente description d’un contexte historique passionnant, l’auteur révèle qu’à la Renaissance un enseignement à caractère initiatique tendait à se former en honneur d’Hermès dont le mythe rayonnant suscitait, à cette époque, maintes interrogations sur les origines de la métaphysique et des religions.

PASSAGE DE L’HELLÉNISME AU CHRISTIANISME (DE TRANSITU HELLENISMI AD CHRISTIANISMUM) (LE)

Introduction, traduit du latin et annotations Marie-Madeleine de La Garanderie, Daniel Franklin Penham Budé Guillaume (1468-1540) | Éditions Les Belles Lettres | 290.00 FRF / 44.21 Euros

À l’automne 1534, alors qu’éclate l’affaire des Placards, le grand humaniste compose ce long texte où il entend définir, d’une part, la tradition catholique face aux contestations de la Réforme, s’adressant à ceux qui, indécis ou sceptiques, refusent encore, en 1535, de prendre parti et d’autre part, le christianisme face à la philosophie grecque. Proche d’Érasme, avec qui il entretint une belle correspondance, Budé voulait soutenir que la connaissance de l’antiquité classique était indispensable à l’étude de la théologie chrétienne. Pas seulement pour des raisons de pure philologie, comme l’accès à la langue grecque, mais pour des raisons de culture : la sagesse antique constitue, selon Budé, une véritable propédeutique morale à la pensée chrétienne qui en est comme l’achèvement historique.

RAYMOND LULLE ET GIORDANO BRUNO Yates Frances | Éditions Puf | 397 FRF / 60.52 Euros

« Raymond Lulle et Giordano Bruno » est le dernier ouvrage et le plus étincelant de l’œuvre exceptionnelle de Frances Amelia Yates où la quête qu’elle avait engagée pour éclaircir les mystères intellectuels et politiques de la Renaissance trouve enfin sa récompense. D’où vient le néoplatonisme et pourquoi la philosophie occulte, la tradition hermétique exercèrent-elles une influence si considérable sur les fondateurs de la science physique moderne qui furent tous cabalistes ? Pourquoi le mouvement Rose-Croix a-t-il acquis une importance si considérable en Europe au XVIe siècle ? C’est en partant de l’Art combinatoire de Raymond Lulle qui proposait une logique de la nature que Frances Yates trouve un lieu de passage et un relais entre le Platonisme médiéval et la cabale. Giordano Bruno sera, à son tour, puissamment influencé par l’Art de Lulle dont il déploiera la double orientation scientifique et politique. Le physicien de la pluralité des mondes a aussi voulu trouver un terrain d’entente entre les différentes religions et a contribué à bâtir un parti des modérés à l’échelle européenne. Ce que Lulle espérait faire pour réconcilier en son temps l’Islam, le judaïsme et le christianisme, Giordano Bruno, dont Frances Yates montre qu’il a été l’ambassadeur de Henri III auprès de la reine Elizabeth d’Angleterre, voudra l’accomplir pour unir catholiques et protestants et ses voyages en Europe jetteront les bases du mouvement Rose-Croix qui a donné au parti des politiques une dimension européenne et qui a été l’antichambre de la franc-maçonnerie. Frances Yates a ainsi élucidé les deux énigmes capitales de la Renaissance, elle éclaire à la fois l’origine de la science et de la politique moderne.

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Giordano Bruno l’homme « ivre de Dieu »

Giordano Bruno (1548-1600)

Alfred Fouillée (1838-1912) figure encore dans les manuels d’histoire de la philosophie. Hormis quelques thésards, personne ne le lit plus ; pas même son œuvre majeure : « L’Avenir de la métaphysique fondée sur l’expérience ». Son épouse n’a guère plus de chance : on ne connaît même pas son prénom ; elle est, selon les usages de l’époque, Madame Alfred Fouillée. Mme Fouillée a pourtant publié, en 1877, l’un de nos plus immenses succès de librairie, « Le Tour de la France par deux enfants ». Mais cette discrète personne avait choisi de placer ce monument pédagogique, patriotique et laïque sous un étendard militant. Elle signa son livre : G. Bruno. Un pseudonyme en forme de manifeste anticlérical. En 1877, le bûcher de Giordano Bruno flambait encore.

Il brûlait toujours en 1929 lorsque Mussolini et Pie XI négociaient la normalisation des relations entre l’Eglise catholique et l’Italie fasciste. Le cardinal Gaspari, le secrétaire d’Etat du pape, veut qu’on détruise la statue de Bruno érigée en 1889 sur Campo dei Fiori, le lieu de son supplice. Le Duce refuse et les accords de Latran épargneront Bruno. Mais par revanche, le Vatican, en 1930, canonise le cardinal Bellarmin qui condamna à mort le philosophe. On n’a pas fini de se battre autour de cette affaire vieille de quatre siècles. Tout récemment encore, la semi-réhabilitation de Galilée, si l’on en croit l’ouvrage publié sous la direction du cardinal Poupard, a donné au Vatican l’occasion de rappeler que « la condamnation pour hérésie [de Bruno], indépendamment du jugement qu’on veuille porter sur la peine capitale qui lui fut imposée, se présente comme pleinement motivée » puisque sa défense et illustration des théories de Copernic « ne prête aucun intérêt aux raisons scientifiques ». Bruno pouvait brûler en toute légitimité puisque la science, rétrospectivement, lui a donné tort. On a compris à ces quelques exemples que Giordano Bruno n’est plus, et depuis longtemps, un philosophe, un cosmologue ou un écrivain : c’est un symbole. Sa figure et sa mort ont dévoré sa vie et son oeuvre. Sans le lire, on le consacre héros de la pensée et de la modernité, selon cette étrange logique qui voudrait lier l’étendue d’un génie à la force de la répression qui s’exerce contre lui. Ce militantisme paresseux a quelques excuses : lire Bruno n’est pas toujours une partie de plaisir. Ses dons littéraires ne sont pas en cause, mais nos propres manques : Giordano Bruno est un métaphysicien de la Renaissance. Il manie des concepts qui ne nous sont pas toujours familiers et il le fait dans des formes rhétoriques et dans des systèmes de références qui ne sont plus les nôtres. Ne regrettons pas trop cette obscurité : les contemporains de Bruno, déjà, se repéraient à la chandelle dans le labyrinthe de ses écrits et de ses prédications, et souvent s’y perdaient. Était-il catholique déviant, luthérien, calviniste ou bien athée ? hérétique ou païen ? Admirateur d’Erasme ou adversaire acharné des humanistes ? Il y a au moins trois raisons pour que la réponse de Bruno à ces questions ne soit pas claire. La première est qu’il cherche : il essaie, il expérimente, il rejette, il intègre, il exclut. Il est l’homme des hypothèses et des spéculations. Mais comme, dans le même temps, il est doté d’un tempérament impétueux, d’un caractère de cochon (il aime les injures zoologiques) et d’un orgueil démesuré, ce grand ami de la sagesse donne souvent l’impression de se quereller avec ses propres idées, ou du moins avec celles qu’il professait la veille encore. L’unité spirituelle de Bruno est moins à chercher dans tel ou tel aspect de sa pensée que dans cette extraordinaire volonté de s’arracher à la tradition qui subordonnait la philosophie à la théologie. De quoi, en effet, finir sur un fagot. La seconde raison de sa relative obscurité, c’est la prudence. Bruno ne se sentait aucune appétence pour le martyre. Il récriminait et polémiquait, certes, et comme il était d’usage de le faire en son temps : en traitant ses adversaires d’ânes, de scorpions, de porcs et de vipères. Il condamnait en bloc les grammairiens, les dialecticiens, les versificateurs et, aussi, « la nouvelle peste », les réformés, « monstres d’ignorance, d’homosexualité, de délinquance et de bestialité ». S’il avait possédé un peu de pouvoir, il les eût envoyés se faire pendre, griller ou décapiter ; c’était le discours de l’époque . Après Hus à Prague, Dolet à Paris, Servet à Genève : les intellectuels jouaient leur tête. Raison de plus pour masquer le fond de ses opinions et croyances quand le lieu ne se prête pas à leur franche exposition. Bruno adore livrer ces combats singuliers, ces joutes métaphysiques qui sont à la noblesse de l’esprit ce que les tournois sont aux chevaliers. Mais il a soin de se protéger par une solide et opaque armure scolastique. L’art de dire, enfin, ne se sépare jamais chez lui d’un art de taire. La vérité ne se délivre pas sans précaution au vulgaire et il convient de savoir rompre l’os si l’on veut goûter la moelle. L’hermétisme est une pédagogie de la connaissance. Le précurseur de Spinoza est aussi un héritier des kabalistes et de la gnose. Il verse souvent son vin nouveau dans de vieilles outres. Il jongle avec l’occulte aussi savamment qu’avec le réel ; il y a toujours chez lui un peu de magie dans la médecine, un peu d’astrologie dans la mécanique céleste et pas mal de fantastique dans l’exercice de la raison. Le penseur moderne de l’infinité de l’Univers et de l’immortalité de la matière avait aussi un pied au Moyen Age. C’est ce grand écart, ce décentrement constant qui font le charme et la grandeur de la Renaissance finissante et baroque. On y manie avec la même fougue l’esprit critique le plus fin et les prédictions apocalyptiques, les mathématiques et la divination. Ou encore, comme Bruno, la philosophie la plus audacieuse et l’exposé virtuose des techniques de la mémoire, héritées de Raymond Lulle et de Pierre de Ravenne. Pour se promener dans l’œuvre de Bruno avec quelque profit, il est donc utile d’avoir un guide. Bertrand Levergeois est le plus savant qui soit. Nous lui devons déjà la traduction et la présentation de trois livres importants du dominicain (défroqué) de Nola : « L’Infini, l’univers et les mondes », « L’Expulsion de la bête triomphante » et « La Cabale du cheval Pégase », dans des éditions honorables. Bertrand Levergeois circule dans la philosophie de la Renaissance comme s’il y était né. Au point parfois d’oublier les pauvres lecteurs qui ont le malheur de voir le jour quatre siècles plus tard. C’est un guide mais qui marche parfois si vite dans des ruelles qu’il connaît si bien qu’il en égarera plus d’un. Il a, bien sûr, raison de réagir contre la « brunomanie » dominante et de préférer l’exposé avéré de la vie et de la pensée de Bruno aux légendes orientées qui courent depuis son exécution. Avec lui, nous ne risquons pas de rêver. Un oeil sur le livre et l’autre sur d’épais manuels d’histoire de la philosophie, nous sommes sommés de comprendre les antécédents, les substrats et les enjeux de querelles sur l’immanence divine ou sur l’homogénéité ontologique auxquelles les carences de notre enseignement en matière de scolastique et de coupures de cheveux en quatre nous ont mal préparé. Il aurait fallu, quitte à sacrifier quelques précieux détails, tracer des perspectives, décrire des stratégies, mesurer des enjeux intellectuels, sociaux et politiques, problématiser, donner des exemples ; bref nous faire les spectateurs et les complices de l’intelligence d’une démarche et des vicissitudes d’un destin. Giordano Bruno est un penseur immense et compliqué ; il est légitime de ne pas le réduire, mais c’est mauvaise tactique que d’abandonner à d’autres, moins savants ou moins scrupuleux, le soin de le faire connaître et comprendre. Bertrand Levergeois, heureusement, ne s’est pas toujours replié derrière les hautes et grises murailles de la science et du patois universitaires. Son amour pour Bruno est trop vif pour le faire se tenir dans les limites du cours magistral. Et la vie de Bruno est trop aventureuse aussi. Il y a donc dans ce livre bien des pages réussies. On y sent enfin souffler des tempêtes, se fracasser des idées, se creuser des gouffres. Le petit moine de Nola, cet « oiselet d’Italien » comme on l’appelait à la cour d’Henri III, y apparaît dans toute sa hargne, ses vertiges et sa grandeur tragique. Errant à travers une Europe de tous les dangers, chassé de partout, excommunié à Rome, à Genève et à Wittenberg, renvoyé à Oxford, menacé à Paris, trahi à Venise, torturé dans les geôles du pape. Autour de lui, après le beau printemps de la Renaissance, un continent en proie aux guerres intestines, à la peur, à la peste et qui semble reculer devant l’avenir qui s’offre à lui. En lui, une véritable folie de comprendre le monde et son pourquoi et de se forger des armes pour y parvenir. C’est Joyce, évoquant Bruno dans un article du Daily Express de Dublin, en 1903, qui écrivait : « L’homme ivre de Dieu, ce n’est pas Spinoza mais Bruno. Plus que Bacon ou que Descartes, nous devons le considérer comme le père de la philosophie moderne. »

Pierre Lepape (© Le Monde – 02 Juin 1995)

  GIORDANO BRUNO Levergeois Bertrand | Éditions Fayard | 170.00 FRF / 25.92 Euros

Le 17 février 1600, Giordano Bruno meurt sur le bûcher de l’Inquisition. Au lendemain des guerres de Religion, en pleine Contre-Réforme, l’Eglise de Rome ne lui pardonne pas son insoumission. Bruno hérétique ? Dominicain de formation, il rompt avec son ordre et quitte l’Italie. A Genève, il s’oppose aux calvinistes qui l’excommunient. A Paris, son art de la mémoire séduit Henri III qui le protège. En Angleterre, il scandalise les docteurs d’Oxford et les puritains. Une troisième fois, il est excommunié par les luthériens allemands. Irrécupérable pour son temps, Bruno marque un tournant dans l’histoire de la pensée occdientale et s’impose comme l’un des plus importants philosophes du XVIe siècle. Ce » chevalier errant du savoir » s’inspire aussi bien de Saint Thomas d’Aquin, de Nicolas de Cues que de Ficin. Pourfendeur d’Aristote, il pose, à partir de Copernic, l’existence d’un univers infini, peuplé de mondes innombrables. Paradoxalement, il prône une déchristianisation en soutenant le pouvoir et les intérêts de l’Eglise catholique. Anti-humaniste, il s’insurge contre les grammairiens et leur prétention à la vérité. Poète, il se fait peintre. Des mathématiques à la magie en passant par la colonisation de l’Amérique, il remet en question tout ce qui semble acquis. Exilé, isolé et sans cesse dissident, cet » académicien de nulle académie » est longtemps resté prisonnier de ses mythes : Bruno l’athée, l’espion ou le moderne. Contrairement à Galilée, il est toujours rejeté par l’Eglise de Rome.

Table des matières: L`apprentissage de l`exil. Nola : l`horizon de l`enfance. Naples : les premiers maîtres. Frère Giordano : le dominicain. La rupture. Genève : l`excommunication calviniste. Toulouse : le maître de philosophie. La voie royale. Le Coup de théâtre : Bruno écrivain. La métamorphose de la mémoire : de Circé à Lulle. Un splendide isolement. Londres-Oxford-Londres. Un souper de trop : Bruno copernicien. Les visages de l`Un : le repli offensif. L`infini et les mondes : la parole en péril. La déchristianisation : le grand virage. Au pays des ânes : les vertus de l`ignorance. La connaissance héroïque : Bruno furieux. La fuite en avant. Retour à Paris : l`affaire Morente. Les années allemandes : l`excommunication luthérienne. La magie : une politique de l`amour. Les poèmes de Francfort : une volonté de synthèse. La trahison de Mocenigo : le procès vénitien. Le choix du bûcher : le procès romain. La » brunomanie «.

DES FUREURS HÉROÏQUES Bruno Giordano | Éditions Les Belles Lettres | 170.00 FRF / 25.92 Euros ou  295.00 FRF / 44.97 Euros

Apparemment, il s’agit d’un « simple » recueil de poèmes et de devises, commentés sous forme de dialogues. Le sujet, toujours en apparence en est la casuistique amoureuse, dans la lignée de Pétrarque et de Ficin. En réalité, il s’agit d’un ouvrage profond qui traduit l’itinéraire mystique de Bruno et révèle ses pensées.

DE L’INFINI, DE L’UNIVERS ET DES MONDES Bruno Giordano | Éditions Berg International | 95.00 FRF / 14.48 Euros

« Giordano présente aujourd’hui au [lecteur] les semences choisies et bien ordonnées de sa philosophie morale, non pas pour qu’il les admire comme des nouveautés, ni ne les reconnaisse ni ne les comprenne comme telles, mais pour qu’il les examine, les considère et les juge, acceptant tout ce qu’il doit en accepter, excusant tout ce qu’il doit y excuser, défendant tout ce qu’il doit défendre contre les grimaces et le sourcil froncé des hypocrites, le nez et la dent des imbéciles, la lime et le sifflet des pédants. » Giordano Bruno

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Giordano Bruno Œuvres complètes

Giordano Bruno (1548-1600)

PLUS on est intelligent, plus on est couillonné… » Telle serait sa dernière phrase. Il l’aurait prononcée distinctement, juste avant qu’on ne fixe le mors de bois destiné à l’empêcher de parler, de hurler une dernière fois. L’homme est nu. Il a cinquante-deux ans. La foule l’entoure. Le bûcher consume ce corps qui n’a cessé de rire, de penser, de s’émouvoir et de provoquer. C’est à Rome, le 17 février 1600, sur le Campo dei Fiori. Giordano Bruno n’a pas cédé devant l’Inquisition. Il n’a rien abjuré de sa vision du monde. Ses livres ont été brûlés place Saint-Pierre. A présent, lisons. Encore faut-il, pour cela, apercevoir puis écarter diverses figures de ce philosophe artiste. Elles aident à l’approcher, mais risquent aussi d’égarer. Celle du rebelle errant est la mieux connue. Filippo Bruno naît à Nola, non loin de Naples, en 1548. Enfant doué, il manie dès sept ans le latin couramment. Filippo change de prénom : pour entrer à dix-sept ans dans l’ordre des dominicains, il se fait appeler Giordano, comme le maître qui lui a fait découvrir la philosophie chez Averroès. Avide de tout lire et de tout éprouver, il rompt ses vœux dix ans plus tard. Et les voyages commencent. De Venise, où il publie à trente ans son premier livre, aujourd’hui perdu, à Venise, où l’Inquisition l’emprisonne quatorze ans plus tard, son chemin passe par Genève, Lyon, Montpellier, Toulouse, Paris, Londres, Oxford, Paris, Wiesbaden, Marbourg, Prague, Francfort, Zurich. Trois fois excommunié : par les calvinistes à Genève, les luthériens à Wittenberg, les catholiques à Rome. Et toujours en joie dans la fuite. Il multiplie les textes et les imprudences, joue de tous les registres, du théâtre au pamphlet, du sarcasme au traité. Jusqu’aux cachots de la fin, où il macère sept ans. Torturé peut-être, mais sachant ne pas se renier. Mal protégé par les politiques, ennemi de tous les pédants, amoureux de la vie sous toutes ses formes : étoiles, animaux, coucheries, livre…, Giordano Bruno a fait de son existence un roman picaresque. Mais ce tragi-comique, s’il est parlant, est pour une part un leurre. En suivant la trajectoire de cette « comète à travers l’Europe » — la formule est de Hegel, — on risque d’oublier de lire son œuvre. Le nomade hérétique et martyr est une belle figure. Son attrait ne doit pas détourner des textes du philosophe. Des textes difficiles à lire. D’abord pour des raisons toutes matérielles : une grande partie de ses ouvrages, rédigés en italien ou en latin, ne sont pas encore traduites en français. Ensuite parce que leur contenu et leur forme déconcertent. Bruno n’aime guère les exposés systématiques ni les traités pesants. Philosophe à sang chaud, il préfère les dialogues, les polémiques, les formes poétiques, les allusions et les allégories. Dernière difficulté : on ne sait, en le lisant, où le ranger. UN précurseur ? Cela semble évident. Combattant l’autorité d’Aristote et la dogmatique de l’Eglise, il participe du grand ébranlement intellectuel où se constituent les savoirs scientifiques modernes, depuis Copernic, Kepler et Galilée, ses contemporains — jusqu’au Siècle des Lumières. Et il imagine plus loin que les astronomes de son temps. L’univers, selon Bruno, est dépourvu de centre. Dans ce cosmos infini et en incessante mutation, existe à ses yeux une multitude de mondes divers. Un siècle avant Fontenelle et ses Entretiens sur la pluralité des mondes habités (1686), cet « académicien sans académie », comme il se dénomme, affirme que la vie dans l’univers n’est pas une rareté. Car Dieu est partout. Loin d’être une cause première, séparée, extérieure, transcendante, il est d’après Bruno un principe actif au sein de chaque chose, fût-elle infime. Ce Dieu immanent que le monde accompagne nécessairement (non c’é Dio senza mondo : pas de Dieu sans monde) annonce le « Dieu, c’est-à-dire la Nature » de Spinoza. C’est également Leibniz que Bruno préfigure. Dans son traité en latin intitulé De la monade, il soutient que chaque existence, même élémentaire, contient en elle la totalité du divin. Alexandre Koyré, parlant de la vision « puissante et prophétique » de Bruno, ou Ernst Cassirer, soulignant que pour ce philosophe « la force de la raison constitue l’unique mode d’accès à l’infini », avaient bien vu cette face de sa pensée tournée vers l’avenir. Il en est une autre tournée vers le passé. S’il se bat contre les dogmes de son temps, pourfend la scolastique et les « balourdises diplomées », Bruno reste fortement tributaire d’un outillage intellectuel hérité de la tradition. Ses travaux sur les arts de la mémoire, inspirés principalement de Raymond Lulle, appartiennent à ce registre. Il s’inscrit par ailleurs dans diverses lignées de penseurs de l’hermétisme, quêteurs de gnose, théoriciens de la magie, vitalistes attribuant à tout corps physique une âme vivante. De telles intuitions ne mènent pas à des calculs. Du coup, les interrogations cosmiques de Bruno ne peuvent conduire à des connaissances scientifiques. Ce n’est pas un homme du savoir, au sens que ce terme prend après Galilée. C’est un visionnaire, un penseur d’imagination, une flamme ondoyante. L’avènement de l’exactitude objective, des expérimentations, des lois mathématiques range ce genre de mage au fond d’un placard. VOILÀ qu’il en sort un écrivain. Pour lire Bruno, puisque cela redevient possible, sans doute faut-il, sans les oublier, mettre de côté le rebelle martyr, le prophète des idées neuves et le gardien des vieux secrets. Se souvenir constamment qu’il invente, en écrivant, de nouveaux dispositifs pour la pensée, entre dérision et décision, entre cosmique et comique. Ce n’est pas par hasard si James Joyce, sur qui Bruno exerça une influence déterminante, fait de lui, « plus que Bacon ou Descartes », « le père de celle qu’on appelle la philosophie moderne ». Ecrivain d’une pensée instable, éclatée, où la bêtise et le divin se frôlent, Bruno mêle scatologie et cosmologie, langue savante etpopulacière. Chandelier, sa première œuvre conservée, publiée en italien à Paris en l’an 1582, est une longue comédie débridée, sans intrigue qui se tienne, mais d’une verve infinie. On y voit, par exemple, des « pédants mastiquer des théories, flairer des opinions, cracher des maximes, pisser des citations ». On y pressent déjà le boudoir des libertins : « Une des femmes de cette histoire décochera des regards célestes ; elle vous fera voir combien sont enflammés ses soupirs, aquatiques ses méditations, terrestres ses désirs, aériennes ses fouteries. » Loin de la philosophie ? Pas sûr. Bruno pense en riant, en pleurant, en injuriant, en aimant, en s’émerveillant, en changeant de ton, de registre, de phrase. Il voulut être tout _ aussi changeant, multiple et imprévu que le réel. Aussi n’a-t-il pas seulement parcouru l’Europe des universités, des églises et des cours royales. Il a voyagé d’abord entre les langues et les disciplines, décentrant l’écriture et la pensée. Semblable à l’âne qu’il dépeint tour à tour répugnant, oisif, arrogant, puis laborieux, endurant, obstiné, Giordano Bruno explore interminablement les marges où savoir et ignorance se rencontrent. Il brûle encore.

© Roger Pol (paru dans Le Monde du 12 Mars 1993)

  ŒUVRES COMPLÈTES T1 : LE CHANDELIER traduit de l’italien par Yves Hersant — préface et notes de Giorgio Barberi Squarotti BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 215.00 FRF / 32.78 Euros

L’œuvre de Giordano Bruno (1548-1600) reste largement méconnue du public français. La présente collection, qui devrait comporter une vingtaine de volumes, se propose d’offrir une édition critique complète de ses textes. Le « Chandelier » est une comédie en cinq actes, publiée à Paris en 1582, violente parodie du théâtre italien de la Renaissance.

ŒUVRES COMPLÈTES T2 : LE SOUPER DES CENDRES traduit de l’italien par Yves Hersant — préface Adi Ophir BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 240.00 FRF / 36.59 Euros

En cinq dialogues, G. Bruno propose une triple réflexion : sur l’état de l’univers, sur l’état de l’Angleterre et sur l’état du discours. La cosmologie brunienne y côtoie en effet le récit d’une étrange équipée dans les rues de Londres ainsi qu’une attaque en règle des savants d’Oxford, de leur science et de leur rhétorique aristotéliciennes. « Voici alors apparaître l’homme qui a franchi les airs, traversé le ciel, parcouru les étoiles, outrepassé les limites du monde… En pleine conformité avec les sens et la raison, c’est lui qui avec les clefs de sa compétence a ouvert par ses recherches ceux des cloîtres de la vérité auxquels nous pouvions avoir accès. Il a mis à nu la nature, que des voiles enveloppaient ; il a dénoué la langue des muets, qui ne savaient ni n’osaient démêler l’écheveau de leurs pensées ; il a rebouté les boîteux incapables de parcourir en esprit le chemin inaccessible au corps vil et périssable. »

ŒUVRES COMPLÈTES T3 : DE LA CAUSE, DU PRINCIPE ET DE L’UN traduit de l’italien par Luc Hersant — préface de Michèle Ciliberto BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 275.00 FRF / 41.92 Euros

Ce dialogue aborde les grands thèmes de la métaphysique : rapport entre Dieu et le monde, nature de l’âme, structure du monde matériel. Pour Giordano Bruno, qui s’en prend à toute la tradition métaphysique et théologique, les principes matériel et formel ne font qu’un : il procède à une très importante réévaluation de la matière.

ŒUVRES COMPLÈTES T4 : DE L’INFINI, DE L’UNIVERS ET DES MONDES traduit de l’italien par Jean-Pierre Cavaillé introduction de Miguel Angel Granada — notes de Jean Seidengart BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 305.00 FRF / 46.50 Euros

Dans ce texte essentiel pour les historiens des sciences et de la philosophie, publié à Londres en 1584, Giordano Bruno expose ses thèses sur l’infinité de l’univers, attaquant les positions prises par Aristote dans le « Traité du soleil ». Le De infinito expose la conception de l’infini, de l’univers et des mondes qu’avait Giordano Bruno. Dans ce dialogue apparaît pour la première fois la conscience que Bruno a de sa mission de philosophe : détruire la fausse image de l’univers défendue par les péripatéticiens, autrement dit détruire les chaînes qui ligotent l’homme à l’intérieur d’un espace clos, et plus encore : détruire les hiérarchies existant entre les êtres vivants. Dans le cosmos infini de Bruno, les ensembles d’atomes les plus petits comme les plus grands ont la même importance : dans l’univers infini, il n’y a pas de centre absolu, et donc tout peut être à la fois centre et périphérie. De première importance pour les historiens des sciences et de la philosophie, ce livre, encore aujourd’hui, présente également le plus grand intérêt pour la manière originale dont il affronte tous les grands thèmes de la modernité. Quatrième volume de la série des Œuvres italiennes de Giordano Bruno, cette édition est complétée par un important appareil critique.

ŒUVRES COMPLÈTES T5 : L’EXPULSION DE LA BÊTE TRIOMPHANTE traduit de l’italien par J. Balsamo — introduction de Nuccio Ordine — notes de M. Pia Ellero BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 395.00 FRF / 60.22 Euros

Une critique du protestantisme et de la théologie chrétienne. Préoccupé par le déclin des valeurs parmi les hommes, Jupiter décide d’effectuer une réforme morale en substituant dans le ciel l’image des vertus à celle des constellations païennes. Bruno a écrit ce texte en même temps que son protecteur La Mauvissière écrivait ses « Mémoires », où l’on retrouve les mêmes critiques « politiques ».

ŒUVRES COMPLÈTES T6 : LA CABALE DU CHEVAL PÉGASE traduit de l’italien par Bertrand Levergeois BRUNO GIORDANO | Éditions LES BELLES LETTRES | 175.00 FRF / 26.68 Euros

Le savoir et l’ignorance : tel est le sujet de cet essai philosophique, publié en 1584. Sous forme de dialogues audacieux sont discutés les dogmes scientifiques hérités de l’Antiquité. Bruno, anti-aristotélicien, démonte la pseudologique du scientisme et du positivisme. Le détour par l’ignorance est nécessaire pour accéder à la connaissance d’où la présence de l’âne, (le cheval pégaséen du titre) symbole d’une approche humble du savoir. Satire qui poursuit la critique engagée dans « L’Expulsion de la bête », cet ouvrage présente le portrait du nouveau philosophe : un âne ailé dont le savoir, limité au regard des dieux, doit combattre l’ignorance illimitée des hommes.

 
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