« Identification » du Mahachoan

Paul Johnson reconnaît d’abord en l’éditeur russe Mikhail Katkoff un Maître supérieur au Mahatma Kout Houmi. Pour mémoire, Katkoff fut le premier qui incita Madame H.P. Blavatsky à écrire dans deux périodiques russes (le Russkiy Vestnik [Le Messager Russe] et la Moskovskiya Vedomosti [Gazette Moscovite]) des nouvelles telles que « Dans les cavernes et jungles de l’Hindoustan » ou « Au pays des montagnes bleues ». Rappelons ce que dit Paul Johnson au sujet de M. Katkoff :

« Il n’est pas improbable que Katkov lui-même soit un des Maîtres de la Théosophie… H.P.B. expliqua que « parmi le groupe d’initiés auquel son propre correspondant mystique (celui de Sinnett, K.H.) appartient, deux sont de race européenne et que l’un, qui est supérieur à ce Maître, est de cette origine, mi-slave dans cette incarnation, ainsi qu’il l’écrivit lui-même au Colonel Olcott à New York »

(op. cit., p. 133).

Paul Johnson démontre que Katkov fut bien au centre d’un réseau d’activité panslaviste et antibritannique, ayant quelques visées sur l’Asie. Il établit excellemment les accointances que cet éditeur, patriote, entretient avec quelques amis ou plutôt « relation » directes ou indirectes d’H.P.B. (op. cit. pp., 131-160 & 181-196). Toutefois, rien, dans la description du personnage Katkoff ne définit celui-ci comme un « initié » et moins encore un Adepte ayant quelque rapport avec l’Enseignement théosophique. Puis Paul Johnson — et c’est là encore l’instabilité de son jugement — identifie le Choan ou Mahachoan à Khem Singh Bedi.

Sir Baba Khem Singh Beda (ou Bedi) de Kullar (1830-1905) Photo © Lafayette Ltd., 179 New Bond Street, London.

H.P. Blavatsky décrit et situe en même temps le personnage :

« Ce dégoûtant Baba (Père) mène une existence de parasite à Rawalpindi, entouré de la vénération de milliers d’individus qui lui apportent, en offrandes volontaires, plus de deux lakhs de roupies (deux-cent mille) par an. Contrairement à la coutume et même à la loi des Sikhs, ce saint homme possède, à côté de sa femme, un harem entier ; quant aux offrandes de ses adorateurs zélés mais fort peu raisonnables, il les dilapide en compagnie des fonctionnaires anglais, des résidents et des percepteurs, dans des festivités démentielles, des chasses et des orgies de boisson. »

(loc. in op. cit., p. 80)

Est-ce qu’H.P. Blavatsky et a fortiori les Mahatmas auraient reconnu en ce bouffon lubrique le « Maître des Maîtres »… celui « aux yeux duquel l’Avenir se déploie comme un livre ouvert »… ? (Lettres des Maîtres de la Sagesse – T1 – lettre 16). Même Paul Johnson — qui donne cette citation — croit un moment voir son « identification » « partir en fumée » en relisant les lignes d’H.P.B. Mais ce doute est de courte durée : son personnage en ressort simplement empreint d’un « autoritarisme » tel que les Mahatmas (peureux ?) lui sont entièrement soumis… Le fait que Takur Singh (identifié au Mahatma Kout Houmi, sensé, donc vénérer son Supérieur hiérarchique…) dénonce violemment Khem Singh Bedi comme un traître n’attire pas suffisamment l’attention de Paul Johnson… A l’évidence, pour nous, Paul Johnson n’a pas identifié le Choan…

Les Maîtres et la création de la Société Théosophique

« Ce n’est qu’après sa création [de la ST] qu’elle [HPB] devint l’instrument choisi par les Maîtres connus de la Théosophie comme étant Morya, Koot Hoomi et Djual Kul »

Paul Johnson The Masters Revealed : Madame Blavatsky and the Myth of the Great White Lodge,(p.118).

C‘est en fait de 1851, puis au cours des rencontres suivantes avec le Mahatma Morya, à Londres, qu’H.P.B. date les indications qui lui sont fournies sur son rôle futur d’Agent de son Maître. Certes, le billet de 1851 (voir supra) ne comporte pas l’indication de sa mission. Cependant, de nombreux écrits ultérieurs commentent les conversations qu’H.P.B. a eues avec le Mahatma sur la nature des exigences de ce dernier.

Dans son enfance, elle [H.P.B.] avait souvent vu près d’elle une forme Astrale qui toujours semblait arriver au moment d’un danger et la sauver juste à l’instant critique. H. P. B. avait appris à regarder cette forme Astrale comme un ange gardien, et pensait qu’elle devait être sous Sa garde et sous Sa direction.

Alors qu’elle était à Londres en 1851, avec son père, le Colonel Hahn, elle se promenait un jour, lorsqu’à son grand étonnement elle vit dans la rue un Hindou de haute taille avec quelques princes hindous. Elle le reconnut immédiatement comme étant la personne qu’elle avait vue dans l’Astral. Son premier mouvement fut d’aller vers Lui pour lui parler, mais il lui fit signe de ne pas bouger et elle resta comme sous l’influence d’un charme tandis qu’il passait. Le lendemain elle vint dans Hyde Park pour faire une petite promenade afin de pouvoir être seule et libre de penser à son extraordinaire aventure. Levant les yeux, elle vit la même forme l’approcher, et alors Son Maître lui dit qu’il était venu à Londres avec les princes hindous pour une mission importante et qu’il avait désiré la rencontrer personnellement, parce qu’il voulait lui demander sa coopération pour un travail qu’il allait entreprendre. Il lui apprit alors que la Société Théosophique allait être formée et qu’il désirait qu’elle en fût la fondatrice. Il lui fit clairement entrevoir tous les soucis qu’elle aurait à endurer et lui dit aussi qu’elle devrait passer trois années au Tibet afin de se préparer à cette importante tâche. Après trois jours de sérieux examen et de conversation avec son père, H.P.B. se décida à accepter l’offre qui lui était faite et, peu après, elle quitta Londres pour se rendre aux Indes.

Confidences d’H.P.B. à C. Wachtmeister : «  La Doctrine Secrète et Mme Blavatsky » – Ed. Adyar – p. 85

P. Johnson considère-t-il tous les témoignages d’H.P.B. ou ceux de ses proches comme des mensonges lorsqu’ils sont contraires à ses conjectures? Nous verrons le document de 1851 systématiquement « oublié » dans son ouvrage.

En conséquence, s’il est vrai que les Mahatmas paraissent « officiellement » après la création de la S.T. comme les Inspirateurs de celle-ci, il n’en reste pas moins qu’H.P.B. multiplie, notamment auprès de sa famille, et dès son enfance, les allusions aux « Radja Yogi » qui dirigent sa vie. De plus, en ce qui concerne Djwhal Khul, il n’apparaît nulle part que celui-ci soit considéré, à cette époque du moins, comme un « Maître ». Dans les Lettres des Mahatmas, Djwhal Khul parle du Mahatma Kout Houmi comme étant son Maître, impliquant par là qu’il est lui-même un disciple (chéla) :

Je suis extrêmement occupé avec des préparatifs d’initiation. Plusieurs de mes chélas (Djoualkhoul parmi d’autres) s’efforcent d’atteindre « l’autre rive ».

Fidèlement vôtre.

K.H.

Lettres des Mahatmas – p. 235 (LETTRE N° XXV – Dernières additions aux notes sur le Devachan Reçue le 2 février 1883)

 

Diffamation d’Helena Petrovna Blavatsky par René Guénon

et Réponses…  
Guénon

René GUÉNON vers 1925 (1886-1951)

L‘œuvre de René Guénon se propose aujourd’hui encore comme référence à nombre de représentants de la pensée dite « traditionnelle », particulièrement en milieu maçonnique.

Son œuvre jouit d’un prestige qui tient à l’incontestable talent de l’écrivain mais, également, à une réputation d’exigence intellectuelle et d’éthique « traditionnelle », appuyées sur une érudition qui doit être révisée.

   

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L’œuvre de René Guénon face à la Théosophie

Quels que puissent être certains mérites de l’œuvre de René Guénon, les pages qui suivent montreront que la réputation de « connaissance » et de « rigueur » qu’on attache à son nom est plus que surfaite. Il apparaîtra à chacun que cet auteur doit surtout l’étendue de son audience à la « docte ignorance » de ses fidèles, plus sensibles à l’aplomb de leur mentor que capables d’en contrôler les affirmations arbitraires et la qualification souvent douteuse. « Le Théosophisme – histoire d’une pseudo-religion », « Le Roi du monde » et vingt-six autres ouvrages prétendent introduire à une approche authentique de l’Ésotérisme, selon les critères de ce que l’on a nommé le « Traditionalisme ». Aucune œuvre n’est entièrement négative et celle de R. Guénon, notamment dans « Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps », charrie quelques pépites dans un dangereux torrent qu’alimente un élitisme suspectable des cousinages idéologiques les plus funestes de l’Entre-deux guerres de ce siècle. De cela, néanmoins, certains de ses émules prétendent le défendre, donc acte, sous réserve d’un plus ample débat. Seul nous importera ici le fait que cet auteur se soit employé à jeter un discrédit total sur la personne et l’œuvre de Mme Blavatsky. Il considérait celle-ci comme une figure emblématique de ce qu’il appelait avec mépris le « Néo-spiritualisme ». Ce terme dépréciateur désigne chez lui toute expression doctrinale qui s’éloigne d’un pas de l’une des grandes Traditions rattachées aux religions « révélées » (Judaïsme, Christianisme et Islamexcluant donc la Tradition spirituelle du Bouddhisme) et à leur ésotérisme propre, lequel devait être réputé « orthodoxe » par des représentants qualifiés. Le sens que l’Ésotérisme attribue au mot « Tradition » ne peut donc être celui auquel se réfère R. Guénon car la Tradition remonte à un Enseignement antérieur de millénaires à toute religions révélée, à toute forme de main mise de la part d’une caste sacerdotale susceptible de détenir, elle seule, la Vérité sur l’aspect plus caché de la religion considérée (cet aspect plus secret est ce que R. Guénon considère comme « l’Ésotérisme d ‘une religion), enfin à toute forme d’exclusion, notamment celle qui a trait au sexe et à la position sociale. René Guénon affirme que les critères qui lui permettent d’authentifier la « Tradition » sont passés au crible de son propre parcours spirituel et intellectuel, qu’il qualifie de rigoureux, embrassant des aspects aussi vastes que le Christianisme, l’Islam, l’Hindouisme et le Taoïsme, le tout assorti de son expérience personnelle de l’Initiation où, toutefois, ses reniements successifs passent pour un signe de sa haute intégrité. Que semblable prétention fût de nature à grandement impressionner « l’élite intellectuelle » s’explique par le fait que le domaine de la Tradition Initiatique est des plus mal connus et se trouve être, de surcroît, celui où la qualification est la plus difficilement contrôlable. L’idiosyncrasie guénonienne ayant néanmoins fait école, on peut désormais rencontrer chez nombre d’auteurs un souverain mépris pour tout ce que le « Maître » a désigné à leur vindicte. ll est opportun d’en donner un échantillon. Ainsi, après avoir mentionné les mises au point que René Guénon a apportées sur la notion de Théosophie « avec une indispensable rigueur », M. A. Faivre, auteur de l’article « Théosophie » de la première édition de l’Encyclopœdia Universalis, donnait, sous l’égide « guénonienne », le verdict suivant sur la doctrine de Mme Blavatsky, visiblement confondue ici avec celle de ses impossibles successeurs : « Une certaine idée, occidentalisée, du Bouddhisme, un intérêt marqué pour les phénomènes psychiques, une érudition fantaisiste et peu sûre, un délirant enseignement « réincarnationiste » ne suffisent pas à constituer une doctrine mais seulement un amas incohérent d’éléments trop souvent contradictoires ne pouvant séduire, en règle générale, que les gens de demi-culture. » Nous puiserons incidemment, dans cette même Encyclopédie que nous venons de citer, de quoi montrer que l’ignorance de René Guénon en matière de Tradition Orientale n’a d’égale que l’arrogance qu’il met dans les jugements qu’il porte au nom de celle-ci (le Pr Louis Renou[1] parlait déjà, à juste titre, des « élucubrations de René Guénon »). Quelques-unes de ses aberrations suffiront à le démontrer. Les charges retenues par R. Guénon pour discréditer Mme Blavatsky recouvrent l’éventail assez large de toutes les affirmations diffamantes dont on peut faire usage sans trop de crainte d’être démenti puisqu’il s’agit d’appréciations subjectives ou d’affirmations incontrôlables :
  • il tire le portrait moral d’un monstre de duplicité (Cf. Théos. chap. VI, VII et VIII, pp. 72-92) en se fondant sur les seuls éléments fournis par les seuls ennemis de Mme Blavatsky, notamment Solovioff, Barlet et Gaboriau ;
  • il affirme que Mme Blavatsky et le Colonel Olcott ont appartenu à une Société occulte dont ils ont été expulsés en 1878 et qui leur tenait lieu de « centre initiatique », il s’agit d’une certaine « Fraternité hermétique de Louxor » sur laquelle il se dit bien renseigné (Cf. Théos., pp. 19-27). Ceci est de l’ordre de l’incontrôlable. Nous avons vu combien peu probable est l‘affiliation du Colonel Olcott et de Mme Blavatsky à cette société dont le nom est, par contre, curieusement identique à celle dont ils font mention, identité qu’ils n’ont pas manqué de dénoncer comme une imposture ;
  • il s’attache à discréditer totalement la Doctrine Théosophique à travers plusieurs de ses ouvrages en dénonçant l’abus et le détournement des termes sanskrits et des notions traditionnelles que ceux-ci recouvrent. ;
  • du Rapport Hodgson, enfin, assorti du verdict de la Société de Recherche Psychique, il accepte en bloc toutes les conclusions. Celles-ci dépeignant H.P.B. comme un imposteur ayant fait usage de faux et utilisant des trucages en guise de démonstrations psychiques (Cf. Théos., chap V, pp 61-71).
Les preuves que les assertions de René Guénon sont erronnées doivent être maintenant dûment fournies. Voir « Les méprises historiques de R. Guénon », « La doctrine du Karma selon R. Guénon », « La doctrine du Karma selon les Textes orientaux », « René Guénon et le Bouddhisme Esotérique » et « La découverte des Sources de « La Doctrine Secrète ».
 

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[1] Louis Renou (1896-1966) – Sanskritiste français internationalement reconnu, Membre de l’Institut et Professeur à la Sorbonne, spécialiste éminent des études indiennes et orientales. Il est l’auteur de travaux dans le domaine indo-aryen ancien (grammaire, lexicographie, éditions et traductions de texte littéraires et religieux).

Les Maîtres et la rédaction des deux Œuvres fondamentales d’Helena Petrovna Blavatsky :

«  Isis Dévoilée » et « La Doctrine Secrète »

« Bien qu’Isis Dévoilée et La Doctrine Secrète soient considérées par les Théosophes comme étant le fruit d’une collaboration entre Mme Blavatsky et ses Mahatmas, aucun de ces livres ne fournit une information importante sur les mystérieux Adeptes qui patronnent la Société Théosophique. »

(op.cit.p.131).

Il est vrai que le contenu intrinsèque de ces ouvrages ne révèle rien de ce qui concerne les Mahatmas car tel n’était pas le but de ces écrits. Il s’agissait de délivrer un Enseignement global sur la Philosophie Occulte. Pourquoi alors Paul Johnson fait-il ce reproche à ces livres ? Il semble mettre en doute la collaboration des Maîtres avec H.P.B. pour écrire ces ouvrages en ignorant délibérément les nombreux témoignages qui vont, au contraire, dans ce sens : ceux d’Olcott, de C. Wachtmeister, Hübbe Schleiden, des deux Keithley, etc.

« Et après que sa relation [celle d’HBP] avec ses Instructeurs Indiens eut pris fin, elle continua… »

(op.cit.p.118).

Cette question est corollaire de la précédente. Selon Paul Johnson, le Mahatma Morya (pour lui, le Maharadja du Cachemire, Ranbir Singh) est mort le « 12 septembre 1885 » (cf. supra). Ainsi, la rédaction de La Doctrine Secrète, de 1886 à 1888, n’implique aucune participation de sa part. L’auteur n’envisage pas davantage celle du Mahatma Kout Houmi, lequel aurait cessé, selon lui, toute correspondance à partir de 1885. D’une part, l’arrêt dans les contacts avec Sinnett n’implique aucunement l’arrêt de ceux que le même Maître entretient avec H.P.B. Mais surtout, pareille affirmation repose sur la négation implicite de l’authenticité d’un document par lequel les deux Mahatmas ont pris la peine d’attester eux-mêmes leur intervention directe dans la rédaction de la Doctrine Secrète :
  1. En 1886 le Docteur Hübbe Schleiden avait reçu un court écrit qui lui était adressé par voie « phénoménale » et qui comportait cette affirmation sans équivoque :

    « … c’est pour sa propre satisfaction [celle du Docteur] que le soussigné est heureux de lui donner l’assurance que La Doctrine Secrète, quand elle sera terminée, sera la triple production de (M.), de H.P.B. et de… (K.H.) votre humble serviteur. » Signé: K.H.

    Ceci était confirmé par le Maître Morya au dos de ce même papier. (C. Wachtmeister : « La Doctrine Secrète et Mme Blavatsky – Ed. Adyar – p.p. 178-179).
  2. Une lettre adressée à Olcott en 1888 par les mêmes moyens — en pleine mer, alors qu’il était seul dans sa cabine au large de Brindisi — comportait la même affirmation:

« Soyez assuré que ce qu’elle n’a pas emprunté directement à des ouvrages scientifiques ou autres c’est nous qui le lui avons donné ou suggéré. »

Lettres des Maîtres de la Sagesse, t.1, p. 66

Comment se fait-il que Paul Johnson prenne en considération les diverses Lettres émanant des Mahatmas jusqu’en 1885, attestant ainsi implicitement de leur l’authencité (sous l’identité qu’il reconnaît aux Maîtres) et qu’il ne prenne plus en compte, sans aucune explication, celles qui ruinent sa thèse au-delà de cette date ?

 

Les méprises historiques de René Guénon

Commençons par un exemple de confusion scandaleuse par ses conséquences diffamantes, qui permet de mesurer la fiabilité des références de René Guénon.

W. Solovioff

Vladimir Solovioff   (1853-1900) Philosophe et poète

En effet, ce dernier a utilisé, pour déniger Mme Blavatsky, le livre de Sergueï Vsevolod Solovioff, A Modern Priestess of Isis, qui est un tissu de propos tendancieux d’un homme qui avoue avoir simulé l’amitié pour Mme Blavatsky afin de mieux la perdre. R. Guénon, accusé de cette utilisation exclusive, rétorque : « Nous répondrons à cela que Solovioff fut tout au moins un philosophe de valeur, peut-être le seul que la Russie ait eu [sic], et que des personnes qui l’ont fort bien connu nous ont certifié que sa probité intellectuelle était au dessus de tout soupçon… » (pp. 319-320). Et de fait, la « probité intellectuelle » de Vladimir Solovioff[1] (1853-1900), philosophe de renom et poète, fils du célèbre historien de la Russie Sergueï Solovioff,nepeut être remise en question car Vladimir Solovioff, s’illustre par son combat désespéré pour la réunion des deux églises, Orthodoxe et Catholique (« La Russie et l’Eglise universelle ») avant de revenir, déçu, à la philosophie pure (« Justification du bien et Trois conversations »). Cependant, la probité intellectuelle de Sergueï Vsévolod Solovioff, auteur du livre dont s’est inspiré R. Guénon, et frère cadet de Vladimir, le poète, ne peut, elle, être « au dessus de tout soupçon »… R. Guénon confond donc, , le cadet, Sergueï Vsévolod Solovioff, le « faux confident » d’H.P.B., écrivain beaucoup plus modeste et auteur (en 1895) du libelle vengeur qui salit la mémoire de cette dernière, avec son célèbre aîné. Son honnêteté est douteuse de l’aveu même de son éditeur et préfacier ; celui-ci est lui-même radicalement hostile à Mme Blavatsky, mais il estime devoir à ladite honnêteté intellectuelle de soulever certaines équivoques sur la version que donne Sergueï Vsévolod Solovioff de certains faits (Op. cit., pp. XV-XVI). Le comble est que Vladimir Solovioff, philosophe d’une érudition et d’une hauteur de pensée qui faisait l’admiration de son temps, n’avait nullement caché la grande considération qu’il portait aux écrits de Mme Blavatsky. Il avait tenu, en la défendant contre ses diffamateurs, des propos extrêmement appréciateurs sur son dernier ouvrage « La Clef de la Théosophie », où elledonnait une synthèse des aspects fondamentaux de la Doctrine de ses Maîtres. Dans la revue où elle-même écrivait fréquemment, Russkoye Obozreniye [La Revue Russe], Vladimir Solovioff s’exprimait en ces termes, en 1889 :

« Il a été dit que la Théosophie est une proposition commerciale et que, par elle, une grande quantité d’argent peut être amassée. Le même opposant proclame que les Guides tibétains de la Société, Mahatmas et Chelas [disciples], n’ont jamais existé mais ont été inventés par Mme Blavatsky. À la première proposition, l’auteur [Mme Blavatsky] répond par des données et des chiffres convaincants; quant à la seconde, nous-mêmes, parti étranger à cette affaire, pouvons témoigner que cela est faux. « Comment H.P. Blavatsky pourrait-elle avoir inventé la Fraternité tibétaine ou l’ordre des Chelas, alors qu’il est aisé de trouver des renseignements précis et authentiques à propos de l’existence et des caractéristiques de cette Fraternité dans le livre du missionnaire français Huc (Voyage en Tartarie, Tibet et Chine), lequel a visité le Tibet dans la première partie des années quarante, c’est-à-dire quelques trente années avant la fondation de la Société Théosophique ? « Quoi qu’il en soit, et compte tenu de tous les points faibles théoriques et éthiques de la Société Théosophique, il est évident que cette Société, que ce soit sous sa forme actuelle ou autrement, de même que que le mouvement Néo-Boudhiste[2] réveillé par ses efforts, ont un rôle important à jouer dans un avenir proche […]. « Ce dernier ouvrage de H. P. Blavatsky est particulièrement important pour nous parce qu’il présente le Bouddhisme sous un nouvel angle, insoupçonné jusqu’à ce jour, c’est-à-dire un mouvement religieux sans credo ni dogmes et cependant pourvu d’un but bien défini et unique (tendant à ce que l’homme atteigne à sa propre évolution divine à l’opposé d’une croyance en un principe super-humain […]. »

(Loc. Cit. in Ryan., pp. 202-203).

Ainsi, non seulement René Guénon fait une confusion ridicule mais il prétend malencontreusement se réclamer d’un philosophe qui désavouait radicalement le propos qu’il tient à l’encontre de Mme Blatvatsky.

2 – Méprise sur la personne de Samuel Mac Gregor Mathers

René Guénon s’est ingénié à démontrer qu’il existe, entre la Fraternité Hermétique de Louxor (celle qu’il a détectée comme telle) et les Maîtres occultes de différents mouvements rosicruciens ou les Inspirateurs de la Société Théosophique, des liens révélateurs de manipulations d’agents de la « contre-initiation ». Les Maîtres de Mme Blavatsky et les œuvres de cette dernière lui apparaissent évidemment comme le type achevé de ces noires entreprises. Et René Guénon de nous inviter à le suivre dans les méandres de ses conjectures et de ses révélations d’homme bien renseigné sur le « Who is Who » de l’Ésotérisme, sur lequel il possède des lumières que les autres n’ont pas (Cf. Théos., p. p. 33-42). C’est ici qu’il commet deux erreurs dont l’énormité en dit long sur sa réelle impéritie et le peu de crédit que l’on peut accorder à ses « mises au point » : Parlant de l’Ordre Hermétique de la Golden Dawn, émanation de la Societas Rosicruciana in Anglia, il évoque la devise de l’un de ses chefs, S. L. Mac-Gregor Mathers, pour souligner qu’elle comporte une fin de texte identique à celle de « sa » Hermetic Brotherhood of Light (op. cit., p. 36). Il prétend fournir alors les renseignements suivants à propos de S. L. Mac-Gregor Mathers, Imperator de la Golden Dawn et auteur d’une lettre qu’il vient de citer :

« L’auteur de la lettre que nous venons de citer, qui est mort il a quelques années, était le frère aîné d’un autre M. Mac-Gregor, un représentant en France de l’Order of the Golden Dawn in the Outer, et également membre de la Société Théosophique. « On fit quelque bruit à Paris, en 1899 et en 1903, autour des tentatives de restauration du culte d’Isis par M. et Mme Mac-Gregor, sous le patronage de l’écrivain occultiste Jules Bois, tentatives assez fantaisistes d’ailleurs, mais qui eurent en leur temps un certain succès de curiosité. « Ajoutons que Mme Mac-Gregor, la « Grande-Prêtresse Amari », est la sœur de M. Bergson; […] »

(Op. cit., pp.36-37).

Le lecteur familier de ces questions aura relu deux fois la citation pour en croire ses yeux : ainsi, R. Guénon croit que Samuel Lyddel Mac Gregor Mathers, Imperator de la Golden Dawn, est mort en laissant un frère cadet, époux de la sœur du philosophe Henri Bergson, représenter la Golden Dawn par des activités fantaisistes en France !…

Samuel Lyddel Mac Gregor Mathers (1854-1918)

Rectifions : figure illustre de l’Occultisme anglo-saxon à la charnière des deux siècles, Samuel Lyddel Mac Gregor Mathers, époux de Moïna Bergson, n’a jamais eu de frèrequi vint en France mener ses entreprises occultistes. Les épisodes successifs de cette activité ont eu pour acteur une seule et même personne, Mathers lui-même, lequel est bien connu de tous ceux qui ont quelques connaissances sur une période de l’Occultisme qui n’était pourtant pas si loin pour R. Guénon. Que faut-il penser d’un inquisiteur capable de telles méprises sur un sujet dont il prétend traiter en expert, habilité de surcroît à rectifier les opinions erronées et triviales de ses contemporains sur ces questions ?

3 – Confusion entre père et fils : les Lytton

Ce n’est pas sa seule erreur du genre : rencontrant d’insurmontables difficultés avec les liens ascendants ou collatéraux, R. Guénon en commet une aussi grossière, quoique moins drôle, à propos de Bulwer Lytton. Continuant de disserter « savamment » des liens entre la politique anglo-saxonne et l’Occultisme, il croit bon de nous apporter ici encore le secours de ses lumières : il présente « Lord Lytton, alors Vice-Roi des Indes », comme partie prenante à des complots libertaires ourdis dès 1876 autour de la Société des « Fratres Lucis ». C’est au sujet de ce dernier qu’il poursuit :

« … pour en revenir à des choses sérieuses [sic], nous dirons que Lord Lytton, dont nous venons de rencontrer le nom à propos de Fratres Lucis, est le célèbre auteur de « Zanoni », de « Une Etrange Histoire », et de « La Race future » […] il fut le grand patron de la Societas Rosicruciana, et son fils fut ambassadeur d’Angleterre à Paris. « Ce n’est sans doute pas par un simple hasard que ce nom de Lytton se retrouve à chaque instant mêlé à l’Histoire de l’Occultisme… »

(Op. cit., p. 301).

R. Guénon confond cette fois le père (Sir Edward Bulwer Lytton) avec le fils (Lord Lytton) et attribue à ce dernier la paternité des œuvres du précédent. Ceci en dit long encore sur l’ignorance des sources les plus élémentaires de l’Histoire de l’Occultisme.

A gauche, le père, Edward George Earle Bulwer-Lytton (1803-1873) et à droite le fils, Lord Edouard Robert Bulwer Lytton (1831-1891)

En effet, l’auteur de Zanoni (1842) mais, aussi, du célèbre ouvrage Les derniers jours de Pompéi, était Sir Edward Bulwer Lytton (1803-1873). Il était le pèrede Lord Lytton, Vice-Roi des Indes et Ambassadeur d’Angleterre à Paris[3]. Les dites fonctions n’ont jamais été assumées par Lord Edward Bulwer Lytton — le père — mais seulement par son fils, Lord Lytton. Au père, donc, les œuvres, au fils les titres et les supposés complots de 1876, auxquels n’a pu prendre part — ainsi que l’affirme R. Guénon — Lord Edward Bulwer Lytton père, décédé trois ans auparavant. Dans une seconde édition de son ouvrage, R.Guénon rectifie cette erreur (la précédente restant intacte). 4 – Méprise sur la personne de H.P. Blavatsky René Guénon veut ignorer des sources les plus accessibles et les plus indispensables — l’ouvrage de A. P. Sinnett « La Vie extraordinaire de Mme Blavatsky », sur celle qu’il prétend condamner. En effet, dans la seconde édition de son livre-libelle, il admet, sans sourciller (dans deux notes successives, p. 319), avoir omis de mentionner un rapport d’expert contredisant dès 1886 les conclusions du « Rapport Hodgson » (1885) à propos de l’écriture de Mme Blavatsky, lequel rapport est le fondement du réquisitoire de tous ses détracteurs, R. Guénon en tête. Celui-ci explique son omission : « … nous avions ignoré ce fait lors de la première édition, sans quoi nous ne l’aurions pas « passé sous silence » comme on nous l’a reproché… » (Op. cit. p. 319). Mais « ce fait » est mentionné, bien en évidence, en appendice 2 de l’ouvrage précité de A. P. Sinnett (La Vie extraordinaire de Mme Blavatsky, p.p. 247-248), première et seule biographie, au demeurant très courte, rédigée du vivant de Mme Blavatsky. Pareillement, rappelons que René Guénon avoue ignorer, malgré Sinnett ici encore, si Mme Blavatsky fut bien remariée en Amérique (en 1875) (Op. cit. pp.22-23). Ce doute révèle la plus haute fantaisie dans la recherche de l’information sur une personne dont il prétend examiner le caractère et les faits et gestes (le mari « supposé » n’est au demeurant pas du tout « médium » comme le prétend R. Guénon).  

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[1] S’écrit également Soloviev ou Solov’ev (Wladimir Sergeevich Soloviev) [2] Le terme « Boudhiste”, écrit avec un seul « d », indique que Vladimir Solovioff faisait sienne la distinction opérée par Mme Blavatsky entre le Principe Spirituel qui donne sa signification à cette Philosophie et le mouvement religieux se réclamant des textes attribués au Bouddha dans la Doctrine exotérique. (Cf. Clef., Chap. « La Théosophie n’est pas le Bouddhisme”, pp. 20-23) [3] Le père, Edward George Earle Bulwer-Lytton (1803-1873), fut un politicien, un poète et un critique, passé à la postérité comme romancier prolifique et auteur, entre autres, de « Zanoni », « Les derniers jours de Pompéi » ou de « La Race future ». Le fils, Lord Edouard Robert Bulwer Lytton (1831-1891), était diplomate et également poète sous le pseudonyme d’Owen Meredith. Il fut nommé vice-roi des Indes par Disraeli en 1875 et le titre de comte lui fut conféré pour services rendus dans les guerres Afghanes. Il fut ambassadeur en France de 1887 jusqu’à sa mort.

Les menées politiques des « Mahatmas »

de M. Johnson et les Enseignements Théosophiques

 

Paul Johnson prétend, tout au long de sa thèse, que les préoccupations essentielles des Mahatmas Indiens sont d’ordre politique : tous œuvrent dans le cadre d’une « conspiration » antibritannique.

Or, en étudiant les « Lettres des Mahatmas », on ne découvre rien d’autre que des spéculations philosophiques et un Enseignement Ésotérique élevé, assorties çà et là de considérations sur la situation politique de l’Inde qui ne font jamais ressortir un soutien aux idées d’indépendance immédiate ou de renversement de la tutelle anglaise au profit du Tsar. Il n’y pas la moindre trace d’une « conspiration internationale » dans laquelle le prétendu Maître K.H. (Takur Singh) joue « un rôle-clé » impliquant, entre autres, les rapports politiques entre la Russie, le Tibet et l’Inde, via l’éditeur Katkoff (op. cit. 180), lequel est considérée par Paul Johnson comme étant « en un sens supérieur à K.H. dans le groupe d’initiés… » (op. cit. p.133 — cf. infra). A quoi mèneront ces complots et intrigues pour le pouvoir temporel entre « Mahatmas » ?
  • Ranbir Singh, Maharadja du Cachemire (le prétendu « Mahatma Morya), tout honnête homme qu’il fût, est assassiné à la suite d’une conspiration « le 12 septembre 1885 » (op. cit., p. 144 et p. 150).
  • Takur Singh (le prétendu Mahatma Kout Houmi) finit misérablement.
  • Khem Singh Bédi (le prétendu Choan) est exécré par son entourage…
Ranbir Singh « Mahatma Morya… » Takur Singh « Mahatma Kout Houmi… » Khem Singh Bédi « Le Maha Choan… »

Ces destinées pitoyables ne gênent à aucun égard notre auteur, qui persiste dans le bien fondé de ses identifications en reprenant et pauffinant ce thème dans un second ouvrage.

 

Questions à Paul Johnson

Nous posons légitimement quelques questions à Paul Johnson :

La thèse de Paul Johnson n’est-elle qu’un chateau de cartes… ?
Comment se fait-il que des contemporains, tels que Sinett et A.O. Hume, n’aient jamais fait, in situ, les rapprochements identitaires que perçoit Paul Johnson, lesquels ne sembleraient « évidents » qu’un siècle après ? En effet, dans leur volonté de rencontrer ces Maîtres et de les « démystifier » — ce qui est bien le propos de Hume —, il est étrange que pareils recoupements ne leur soient pas venus à l’esprit, notamment à celui de A.O. Hume. Ces hommes étaient, de fait, les mieux informés sur l’état de l’Inde et des complots qui s’y forgeaient. Leurs relations étroites avec les responsables de la Police du Gouvernement Britannique des Indes sont patentes lors de différents épisodes où les tracasseries policières affectent le Colonel Olcott et H.P.Blavatsky. Ils font partie de l’Establishement britannique dans ce pays et Sinett est le rédacteur en chef du plus grand journal anglo-indien : « Le Pioneer ». Il est donc bien étonnant qu’ils n’aient pas fait effectuer les recherches nécessaires à cette identification. A supposer que celles-ci furent discrètement faites, comment expliquer qu’en 1883 (?) pour Sinnett et 1888 (?) pour Hume, l’identité des Maîtres n’était pas résolue ? Ce cas de figure laisserait penser que leurs démarches n’eussent pas abouti aux même conclusions que Paul Johnson. Comment se fait-t-il que Paul Johnson, qui inventorie tant de documents remarquables et difficiles d’accès, ne reproduise aucune photographie des écrits des personnages auxquels il identifie les Maîtres d’H.P.B. ? Ce serait là une excellente occasion de leur comparer les Lettres des Mahatmas ! Pourquoi ces Maîtres — ainsi identifiés par Paul Johnson, c’est à dire le Maharadja Ranbir Singh au Mahatma Morya, le Takur Singh Sandhanwalia au Maître Kout Houmi — auraient envoyé, par des moyens occultes, une grande quantité de lettres alors que dans le contexte où Johnson situe ces personnages, de simples missives expédiées par voie postale eussent été bien plus convaincantes ? Pourquoi, à l’instar d’Hodgson en 1885, Paul Johnson feint d’ignorer totalement les lettres des Maîtres, non envoyées aux Indes, mais sur mers (lettre tombant soudainement dans la cabine d’un bateau au large de Brindisi – Lettres des Maîtres de la Sagesse, t.1, p. 66) et dans des continents éloignées (derrière un tableau en Allemagne) et dépassant, de surcroît, la date limite — 1885 — des lettres à Sinnett, date à partir de laquelle les individus, qu’ils identifie aux Maîtres, sont décédés ?
  Il est également intéressant de consulter sur le site blavatsky.net le texte (en anglais) et l’argumentation pertinente de Daniel H. Caldwell :

K. PAUL JOHNSON’S HOUSE OF CARDS ? A critical examination of Johnson’s thesis on the Theosophical Masters Morya and Koot Hoomi

 

La Doctrine du Karma selon René Guénon

 

Avant d’examiner la « mise au point » guénonienne à propos de la Doctrine du « Karman », on est en droit de se demander d’où l’on tient que cet auteur soit seul compétent sur cette question comme sur tant d’autresC’est lui-même qui prend la peine de l’affirmer dans les premières pages de son « maître livre », « l’Homme et son devenir selon le Vêdâna »…

« Ce n’est pas parce que la « Science sacrée » a été odieusement caricaturée, dans l’occident moderne, par des imposteurs plus ou moins conscients, qu’il faut s’abstenir d’en parler et paraître, sinon la nier, du moins l’ignorer; — bien au contraire, nous affirmons hautement, non seulement qu’elle existe, mais que c’est d’elle seule que nous entendons nous occuper. Ceux qui voudrons bien se reporter à ce que nous avons dit ailleurs des extravagances des occultistes et des théosophistes comprendront immédiatement que ce dont il s’agit est tout autre chose, et que ces gens sont à nos yeux que de simples « profanes », et même des profanes qui aggravent singulièrement leur cas en cherchant à se faire passer pour ce qu’ils ne sont point… »

(Op. cit., p. 10 — c’est nous qui soulignons)

René Guénon étant certainement « ce pour quoi il se fait passer », il faut par conséquent considérer d’abord sa propre compréhension de la « vraie Doctrine » du Karman. Le Karman ou « Karma » (par francisation du terme) apparaît être une notion métaphysique fondamentale, nous semble-t-il, dans la question de L’Homme et de son devenir selon le Vêdânta… Dans cet ouvrage, René Guénon consacre à cette question du Karman très exactement 18 lignes, dispersées en 3 pages sur les 205 que comporte le corps de l’œuvre. Il faut admirer l’économie de moyens… Il convient donc de nous remettre d’abord en mémoire ce qu’il en disait dans un autre ouvrage : « Le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion »… Il y rappelle d’abord dans un esprit critique que, selon Mme Blavatsky, le Karman est :

« …cette loi invisible et inconnue qui adapte avec sagesse, intelligence et équité, chaque effet à chaque cause, et qui, par cette dernière, arrive jusqu’à celui qui l’a produite. »

(Op. cit. p. 121).

Mme Blavatsky, rappelle-t-il, l’appelle « loi de rétribution » ; A.P.Sinnett, se fondant sur l’enseignement des « Mahatmas », la nomme « loi de la causalité éthique ». Pour René Guénon tout ceci est évidemment faux :

« Dans cette conception théosophiste du « Karma », nous trouvons un excellent exemple de l’abus des termes sanscrits mal compris, que nous avons déjà signalés : le mot « karma », en effet, signifie tout simplement « action », et rien d’autre; il n’a jamais eu le sens de causalité (« cause » se dit en sanscrit « kârana »), et encore moins de cette causalité spéciale dont nous venons d’indiquer la nature. »

(Op. cit, p. 122).

La leçon est profonde, et l’on doit admirer ici encore la sobriété de la démonstration : nulle citation superflue des textes ne vient encombrer le verdict magistral.
Karma

Extrait du Lexique sanskrit-français de Gérard Huet basé sur le dictionnaire sanskrit-français de Stchoupak, Nitti et Renou, sur le « Sanskrit-English Dictionary » de Monier-Williams, sur le « Practical Sanskrit-English Dictionary » d’Apte et, in extenso, sur le remarquable lexique de Bergaigne, grand maître français des études sanskrites. M. Gérard Huet est membre de l’Académie des Sciences et de l’Academia Europaea, Directeur de Recherche à INRIA.

Ainsi, pour René Guénon, la conception même de « causalité éthique » ou de « loi de rétribution » liée à la Doctrine de la réincarnation est occidentale, héritée, précise-t-il, de la doctrine spirite; Mme Blavatsky ayant simplement affublé celle-ci du terme oriental de « karma » par un emprunt abusif. Et d’ajouter aussitôt :

« … l’exposé que nous venons de donner, si succinct qu’il soit, nous paraît suffisant [sic] pour montrer le peu de sérieux de la soi-disant doctrine théosophiste, et surtout pour établir qu’elle ne repose, malgré ses prétentions, sur aucune base traditionnelle véritable. »

(Id. p. 122).

René Guénon prétend en effet oblitérer complètement la notion d’« effet de l’acte », laquelle justifie entièrement l’acception théosophique du terme « karma ». Lisons les seules lignes qu’il consacre au Karman dans le volume entier consacré à cette question du « Devenir » selon « le Vêdânta » :

« La première Mîmânsâ (une des six écoles classiques de la philosophie hindoue, les six Darshanas) est appelée Karma-Mîmânsâ ou Mîmânsâ pratique, c’est-à-dire concernant les actes, et plus particulièrement l’accomplissement des rites ; le mot Karma, en effet, a un double sens : au sens général, c’est l’action sous toutes ses formes ; au sens spécial et technique, c’est l’action rituelle, telle qu’elle est prescrite par le Vêda. Cette Mîmânsâ pratique a pour but, comme le dit le commentateur Somanâtha, de « déterminer d’une façon exacte et précise le sens des écritures », mais surtout en tant que celles-ci renferment des préceptes, et non sous le rapport de la connaissance pure ou Jnâna, laquelle est souvent mise en opposition avec Karma, ce qui correspond précisément à la distinction des deux Mîmânsâs. « La seconde Mîmânsâ est définie plus loin comme celle de la « connaissance divine » (Brahma-Vidyâ) obtenue par la contemplation. »

(Op. cit., pp. 17-18).

Le second passage de l’ouvrage où le terme Karma apparaît donne donc le simple rappel du sens « action » en tant qu’un des deux aspects du « pouvoir » [Indriya] à côté de la connaissance [Jnanâ ou Bouddhi] (Cf. op. cit., p. 80). Enfin, la dernière mention du Karma par René Guénon n’apporte rien de plus que ces précisions aussi sophistiquées que lacunaires :

« … sans la Connaissance, la Béatitude (Ananda) ne peut être obtenue. L’action (Karma, que ce mot soit d’ailleurs entendu dans son sens général, ou appliqué spécialement à l’accomplissement des rites) n’étant pas opposée à l’ignorance (Avidiyâ), elle ne peut l’éloigner. »

(Op. cit., p. 188).

Voilà donc tout ce que l’on pourra retirer de René Guénon sur le sens du « Karma » et voilà la fécondité qui l’autorise à accabler de sarcasmes le discours théosophique[1] (entre autres).

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[1] Le terme Karma est cité 223 fois dans la seule Doctrine Secrète. Voici la définition qui en est donné dans le Glossaire Théosophique :

KARMA (sans.). Physiquement, une action ; métaphysiquement, la LOI DE RÉTRIBUTION, la loi de cause et d’effet ou de causation éthique. Némésis, en un sens seulement, celui de mauvais karma. C’est le onzième nidâna dans l’enchaînement des causes et effets du Bouddhisme orthodoxe ; c’est cependant le pouvoir qui contrôle toutes choses, le résultat de l’action morale, le samskâra métaphysique, ou l’effet moral d’un acte accompli pour atteindre quelque chose qui satisfasse un désir personnel. Il y a le karma de mérite et le karma de démérite. Karma ne punit ni ne récompense, il est seulement la loi universelle unique qui guide infailliblement, et, pour ainsi dire, aveuglément toutes les autres lois produisant certains effets tout au long des ornières de leurs causations respectives. Lorsque le Bouddhisme enseigne que « karma est le noyau moral (de tout être) qui seul survit à la mort et qui continue en transmigration » ou réincarnation, il veut simplement dire qu’il ne reste rien, après chaque personnalité, sauf les causes qu’elle a produites, causes qui ne meurent pas, c’est-à-dire, qui ne peuvent être éliminées de l’univers jusqu’à ce qu’elles soient remplacées par leurs justes effets, et effacées par eux, pour ainsi dire, et de telles causes, à moins qu’elles n’aient été compensées durant la vie de celui qui les a produites par des effets proportionnés, suivront l’égo réincarné et l’atteindront dans les incarnations suivantes jusqu’à ce qu’une harmonie entre les effets et les causes soit pleinement rétablie. Aucune « personnalité » – simple amas d’atomes matériels et de caractéristiques instinctives et mentales – ne peut naturellement continuer, comme telle, dans le monde du pur esprit. Il n’y a que ce qui est immortel dans sa nature correspondant au buddhi-même, et divin en essence, à savoir, l’Ego, qui peut exister pour toujours. Et comme c’est cet égo qui choisit la personnalité qu’il animera, après chaque Devachan, et qui recevra, par l’entremise de ces personnalités, les effets de causes karmiques produites, c’est donc lui, cet égo, le soi, qui est le « noyau moral » dont il est question et qui incarne le karma « qui seul survit à la mort ».

La Doctrine du Karma selon les Textes Orientaux

Panikkar

Dr. Raimundo Panikkar Docteur en Science, Philosophie et Théologie

Consultons l’étude sérieuse de ce point de doctrine par une haute autorité reconnue en la matière, celle du Professeur Raimundo Panikkar[1] dans « La Loi du Karma et la dimension historique de l’homme » (in E. Castelli, Herméneutique et eschatologie, p. 205-230, Introduction. Paris, Aubier, 1971.)

Le Professeur Raimundo Panikkar, qui n’est pas Théosophe, donne également en synthèse de son propos, l’aperçu suivant sur le concept de Karman, dans une contribution à une recherche effectuée sous le patronage de l’Unesco sur « Les cultures et le Temps » (p.73-101, Paris, Payot-Unesco, 1975) :« A part certaines doctrines du temps absolu, la loi qui régit l’ensemble temps et histoire est la loi de Karman ».

« Karman est d’abord l’acte, puis le résidu de l’acte qui produit des résultats bons ou mauvais

(Cf. Brhadâranyaka Upanishad IV, 4, 6.)

et qui survit à la personne

(Cf. Brhadâranyaka Upanishad III, 2, 13, etc.),

et finalement, la loi qui régit la rétribution des actes et le réseau des correspondances entre les Karmas des étants. Cette « causalité universelle », comme on a souvent appelé la loi du Karman, explique pratiquement toutes les relations dans l’Univers, et va bien au-delà d’une conception individuelle de la transmigration [réincarnation]. Karman réunit les éléments personnels (la répercussion de chaque action jusqu’aux confins du Cosmos) et impersonnels (l’élément commun de créaturabilité de tous les êtres), de sorte qu’on peut parler d’un Karman inépuisable, c’est-à-dire sans fin, en tant qu’ensemble des résidus des actes humains. »

(Op. cit. p. 86. — C’est nous qui soulignons)

Et l’auteur de conclure que « La réflexion sur le Karman est plutôt une réflexion sur les causes des événements. » (Op. cit. p. 87)

Il n’est pas inutile de comparer ce bref aperçu à celui de René Guénon, pour qui la notion de Karman :

« … n’a jamais eu le sens de causalité (« cause » se dit en sanscrit « kârana ») ».
Les Upanishads (Ve siècle av. J-C) ne reposent sans doute pour Guénon « sur aucune base traditionnelle véritable. », laquelle est mieux connue de lui que de plus de deux millénaires de commentateurs hindouistes.
En fait, le terme sanskrit Karman n’apparaît nulle part passible d’une acception aussi réduite que l’affirme René Guénon dans le contexte (au demeurant très varié et non réductible à une seule école) de l’Hindouisme. Dans leur Vocabulaire de l’Hindouisme (Dervy-livres, Paris, 1985), les deux éminents spécialistes que sont M. Jean Herbert et M. Jean Varenne donnent au mot Karman les sens suivants :
  1. — Acte rituel ;
  2. — Tout acte, action, œuvre ;
  3. — Travail activité ;
  4. — Conséquence des actes ;
  5. — Reliquat des conséquences bonnes ou mauvaises à subir pour les actes passés et déterminant les incarnations successives »

(Op. cit. p. 57 — c’est nous qui soulignons).

Ce sont ces deux dernières significations (4 & 5), proprement Hindouistes, que le Bouddhisme développera en un aspect éthique, là où les commentaires brahmaniques tendaient à ne voir qu’un enchaînement mécanique de cause à effet, codifié parfois par les superstitions les plus absurdes. Ceci apparaît clairement à la lecture de l’Anthologie sanscrite de Louis Renou, Membre de l’Institut et Professeur à la Sorbonne, (Paris, Payot, 1961), une autre référence, universelle celle-là, en matière d’études védantines, celui là même qui parlait des « élucubrations de René Guénon ». On trouvera dans les Lois de Manou, traduites dans le chapitre « La loi des renaissances » (op. cit., page 197), la confirmation de cette évidence. Louis Renou présente en introduction la notion de karman dans ces termes : « La théorie des renaissances (samsâra, proprement « circuit », transmigration), avec son corollaire philosophique sur l’acte et l’effet de l’acte (karman), forme, comme on sait, l’une des bases de l’Hindouisme postvédique. » Afin de corroborer ce qui précède, il nous est loisible de consulter une encyclopédie afin de nous assurer que d’autres textes et leurs commentaires infirment également les prétentions de Guénon en tant qu’éminent spécialiste de la Tradition universelle, tant védique que biblique, coranique et taoïste. Sans doute l’Encyclopœdia Universalis est-elle une œuvre « profane » et même si certains « dérapages » peuvent y être remarqués (voir le jugement de A. Faivre sur la Théosophie), elle a l’avantage d’être généralement rédigée par des spécialistes compétents qui connaissent le sens des mots employés dans l’aire culturelle qui est leur spécialité. Ainsi le terme « Karman » apparaît-il dans divers contextes de l’Hindouisme et du Bouddhisme où il n’a plus tout à fait, au demeurant, le même sens métaphysique[2]. À cela, R. Guénon n’a pas pris garde — ou peut-être affecte-t-il d’oublier que la Doctrine Théosophique ne se réclame aucunement du Brahmanisme orthodoxe, mais, pour une part, du Bouddhisme ésotérique des Gelugpas. Le terme de « Bouddhisme ésotérique » (jugé au demeurant impropre par H.P.B.) a d’ailleurs été donné au premier exposé doctrinal de la Théosophie par A. P. Sinnett, sur la base des lettres de Maîtres qui se réclament du Bouddhisme tibétain. La notion de « loi de rétribution des actes » est cependant amplement confirmée dans le contexte-même de l’Hindouisme. Le Karman y est en effet la notion axiale autour de laquelle s’articulent tous les développements concernant le Samsarâ (la transmigration des âmes, nonobstant l’acception particulière propre à chaque secte ou aux différents niveaux d’instruction au sein de l’Hindouisme). M. A. Bareau, dans l’article « Nirvâna et Samsâra » apporte d’autres précisions : « Les Upanisad et l’hindouisme à leur suite, le bouddhisme et le jaïnisme s’accordent en gros sur la réponse à la question du mécanisme de la transmigration : c’est la valeur morale des actes (karman) accomplis dans une existence qui détermine les conditions de la renaissance, comme elle détermine le bonheur ou le malheur qu’on connaîtra dans cette nouvelle vie… En somme, le phénomène de la transmigration auquel sont soumis tous les êtres vivants, est régi parce que le bouddhisme appelle « maturation » (vipâka) des actes, sorte de justice immanente qui oblige l’auteur d’un acte à recevoir, automatiquement et inéluctablement, au bout d’un temps plus ou moins long, le châtiment ou la récompense de l’action qu’il a accomplie. Cependant, tel n’est pas l’avis de toutes les sectes antiques, si l’on en croit notamment les textes bouddhiques qui les combattent. Pour certaines, seul le hasard conditionne la renaissance, et la valeur des actes n’explique nullement le bonheur ou le malheur des conditions de l’existence. Selon d’autres, composées de brahmanes obnubilés par leurs préoccupations religieuses et par l’orgueil de leur position sociale, c’est uniquement l’accomplissement correct des actes rituels, nombreux et variés, accomplissement dont ils se réservaient jalousement le privilège, qui détermine le bonheur dans les vies futures, et non la valeur morale des actions ordinaires. » Et plus loin : « Pour le jaïnisme, la « libération » est atteinte quand le principe vital (jiva), ayant rejeté toutes les conséquences de ses actes (karman), et toutes ses activités corporelles, se retrouve isolé (kevalim), dans sa pureté naturelle, jouissant enfin pleinement, grâce à sa conscience, de la « vue » infinie, de la connaissance infinie, de la béatitude infinie et de la puissance infinie. » (A. Bareau, Nirvâna et Samsâra, Encyclopœdia Universalis, vol. 14, p. 823 — c’est nous qui soulignons). Dans le cadre particulier du Shivaïsme, M. P. Filliozat confirme : « Le Karman (acte) est, comme le mala [souillure], conçu comme sans commencement, attaché depuis toujours au soi lié, en ce sens qu’un acte est toujours précédé d’un acte, puisque l’acte qui est achevé en engendre automatiquement un autre… c’est par le lien avec la Maya [illusion] et ses produits que l’individu peut exister dans le monde phénoménal qui lui est nécessaire pour qu’il puisse y « consommer » le 2karman et y « mûrir » le mala par l’action bien dirigée, le rituel, la dévotion, le yoga, etc. » (P. Filliozat[3], Shiva et Shivaïsme, E. U., vol. 4, p.582) Quoique le Brahmanisme orthodoxe fasse donc tout aussi bien mentir les interprétations tendancieuses de R. Guénon, terminons par l’exposé que donne M. A. Bareau à propos de la question du Karman dans le Bouddhisme : « La soif et l’ignorance engendrent les trois « racines du mal », qui sont la convoitise, la haine et l’erreur, d’où naissent à leur tour les vices, les passions et les opinions fausses. Tous ceux-ci poussent l’être à agir et à se laisser entraîner par le mécanisme de la rétribution des actes. Tout acte (karman), corporel, vocal ou seulement mental, s’il résulte d’une décision prise en pleine connaissance de cause, produit de lui-même automatiquement et inexorablement, un « fruit » (phala) qui « mûrit » peu à peu et retombe tôt ou tard sur son auteur sous la forme d’une récompense ou d’un châtiment correspondant à cet acte en nature et en importance. Cette « maturation » (vipâka) de l’acte est plus ou moins longue, mais, comme sa durée dépasse souvent celle d’une vie humaine, elle oblige l’auteur à renaître pour recevoir sa rétribution. » (M. A. Bareau, op. cit. Vol. 3, p. 472 — col B). Cet exposé est très rigoureusement conforme à celui que fait la Théosophie de la Doctrine du Karman. R. Guénon aurait tout au moins pu se montrer moins insultant à l’égard de la définition de cette notion par Mme Blavatsky, dans la mesure où cette dernière se trouve confirmée par la totalité des spécialistes compétents, sauf par lui, qui ne l’est d’évidence aucunement. On voit par contre clairement, d’après ces lectures, que les sources de R. Guénon sont celles du Brahmanisme le plus strictement réducteur dans son commentaire ritualiste des textes. C’est là un visage partiel (et partial) de l’orthodoxie et non l’orthodoxie tout entière. C’est, tout au plus, l’un des « points de vue », celui de l’une des six Darshanas. Les concepts évoqués par les spécialistes montrent que les Upanishads ont eux-mêmes donné place à la notion de « rétribution éthique », développée ultérieurement par le Bouddhisme. Cette dernière doctrine est au demeurant le fondement de la Théosophie. René Guénon prétend par conséquent juger un aperçu du Bouddhisme ésotérique, dont il ignore tout, par des notions empruntées à un Brahmanisme d’une orthodoxie sectaire auquel nous le soupçonnons de surcroît de n’avoir eu qu’un accès livresque. Pareil choix doctrinal répugnerait à un esprit autre que le sien, obnubilé, à l’instar des Brahmanes rigoristes, par le « traditionalisme » fondant les castes.

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[1] De père indien et de mère espagnole, auteur de trois thèses de Doctorat en Science, Philosophie et Théologie. Il est spécialiste de la Philosophie indienne. Il a été chargé de recherche auprès des Universités de Mysore et de Varanasi (Bénarès), puis professeur dans les Universités de Madrid, Rome, Cambridge et Harvard. Il est également membre de l’Academic council of the Ecumenical Institute for advanced Theological Study, Jérusalem, et Président de l’Indian Theological Association. [2] Voici quelques extraits de l’Encyclopædia Universalis (édition française 2002)

  • Sankara, s’il innove en effet sur certains points, se conforme sur la majorité des questions essentielles à l’ensemble de la tradition ; la ronde des re-naissances (samsara) liée au karman, résidu d’actes accumulé dans les existences précédentes, garde pour lui son pouvoir impératif. (Extrait de l’article sur Sankara)
  • Sans doute trouve-t-on partout répandue la croyance aux renaissances successives (samsara) auxquelles, sous le poids des actes accomplis dans les existences antérieures (karman), un principe spirituel individuel est astreint jusqu’à sa parfaite purification. Mais, héritée de formes brahmaniques plus anciennes, telles qu’on les rencontrait déjà dans les upanisad classiques, cette notion est panindienne, commune au bouddhisme comme au brahmanisme, et en liaison avec la croyance à l’éternité de l’univers. (Extrait de l’article sur l’Hindouisme)
  • Le terme lui-même [Samsara] – de sam-SR, couler avec – évoque bien ce courant perpétuel et circulaire qui entraîne l’âme individuelle à travers des réincarnations en chaîne, le karman, résidu d’actes des existences antérieures, déterminant les renaissances et leurs conditions. (Extrait de l’article sur le Brahmanisme)

Anne-Marie Esnoul (Directeur d’étude honoraire à l’École pratique des hautes études (Ve section)

  • La soif et l’ignorance engendrent les trois « racines du mal », qui sont la convoitise, la haine et l’erreur, d’où naissent à leur tour les vices, les passions et les opinions fausses. Tous ceux-ci poussent l’être à agir et à se laisser ainsi entraîner par le mécanisme de la rétribution des actes. Tout « acte » (karman), bon ou mauvais, corporel, vocal ou seulement mental, s’il résulte d’une décision prise en pleine connaissance de cause, produit de lui-même, automatiquement et inexorablement, un « fruit » (phala) qui « mûrit » peu à peu et retombe tôt ou tard sur son auteur sous la forme d’une récompense ou d’un châtiment correspondant à cet acte en nature et en importance. Cette « maturation » (vipaka) de l’acte est plus ou moins longue, mais, comme sa durée dépasse souvent celle d’une vie humaine, elle oblige l’auteur à renaître pour recevoir sa rétribution. (Extrait de l’article sur le Bouddhisme)

André Bareau (Professeur au Collège de France – Chaire d’étude du Bouddhisme)

[3] Pierre Sylvain FILLIOZAT, directeur d’étude à l’École pratique des hautes études (IVe section)