Le Programme des Adeptes au XVIIIe siècle.

« Lumières pour servir à la Mémoire du Comte de Saint Germain et d’Alexandre de Cagliostro »[1]   A l’ordre mes Frères !.. et saluons Ceux qui, parmi nous, ne sont plus et sont cependant… » certains Cercles Fraternels saluent ainsi les leurs, en ouverture de leurs travaux… En cette année où la France fête sa Révolution, n’y aurait-il pas un devoir, débordant largement les Cercles susdits, de se pencher sur la mémoire de ceux qui en attisèrent la flamme et dont l’Histoire officielle ne se souvient, non pas pour tout ce qu’ils firent, mais pour ce qu’ils ne firent pas : le Comte de Saint Germain et Alexandre de Cagliostro.
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Alexandre de Cagliostro
Du premier, qui fut appelé par ses contemporains « le Prodige de ce temps », le public n’a retenu que la caricature grotesque qu’en fit un dénommé Gauve (connu aussi sous le nom de Milord Gower). Celui-ci, en effet, se pavana dans les salons parisiens de ce XVIIIe siècle friand d’originalité et d’exotisme, arguant qu’il était le Comte de Saint Germain et illustrant cette affirmation par une attitude, un langage et une expression de l’Occultisme qui sont l’opposé même de ce qu’un Adepte, de la dimension du véritable Comte, se sente le droit d’afficher. Merveilles et enchantements, il est vrai, entouraient sa personne mais tout le « prodige » tient à l’évolution spirituelle qui était la sienne et qui le plaçait très au-dessus de l’humanité ordinaire. Ascète quant à sa nourriture et à ses mœurs, exemple vivant d’une éthique très élevée, il était, en effet, un Initié et un Adepte, au sens réel et non symbolique de ces termes, et cet état avait pour corollaires ce que l’on nomme communément en Occultisme « des pouvoirs », mais qui peuvent être également définis comme étant « l’expression, autorisée par Dieu en un temps donné, dans le monde matériel, psychique et mental, d’une maîtrise des Lois Universelles. » La fascination qu’il exerçait sur tous ceux qui l’approchaient toucha les élites de ce temps-là : Clive, Chatman, Walpole, Voltaire, Rousseau, le Prince Karl de Hesse, le Roi de Naples, le Doge de Venise, la Famille Médicis, Frédéric le Grand de Prusse, Pierre III de Russie, le Shah de Perse et aussi… le Roi de France, Louis XV, qui s’en fit un ami et un conseiller (nous devons à Saint Germain les réformes de Maupéou) et « alchimisa » avec lui au Château de Chambord… Parce que sa personne n’avait donc rien du commun, quel que fût celui-ci, émerveillements ou diatribes s’amoncelèrent sur lui. Il a été prétendu qu’il était le fils légitime de Franz-Léopold Rakozci, Prince de Transylvanie (1676-1735). Le fait est que ce Grand Adepte avait des attaches filiales avec cette famille noble de Hongrie ; cependant, ce nom et ce lieu doivent également et surtout être considérés comme révélateurs d’un Centre Hermétique, ou « Loge Hongroise », liée à « La Loge Égyptienne » (dont la manifestation « extérieure » fut la Confrérie de Louxor), toutes deux représentant, l’une en Occident, l’autre au Moyen Orient, « la Fraternité Transhimalayenne » œuvrant depuis des temps reculés au bénéfice de l’Humanité. Et c’est surtout en qualité de Membre de cette Auguste Fraternité, que le Comte de Saint Germain traversa ce siècle afin d’y accomplir sa Mission. Son Titre exact était : « Hiérophante Visible, pour l’Occident, de la Tradition Ésotérique Terrestre ». Soyons plus explicites :
  • « Hiérophante » car Gardien et Responsable de la Diffusion des Mystères Sacrés (ou Connaissance occulte : structure de l’Univers, des Mondes et de l’Homme, Alchimie, Magie, Médecine Ésotérique, Astrologie, techniques de développement spirituel tendant à favoriser le contact des êtres humains avec Dieu) ;
  • « Visible » car représentant seulement et en réalité le véritable Hiérophante (un des plus Grands Adeptes de la Terre vivant en Orient, Qui, Lui, est « Le » Hiérophante Unique (le Christ et, en « Second », le Maître Koot Houmi) ;
  • « pour l’Occident » car il s’agit de la forme essentiellement occidentale qu’empruntent ces Mystères : la Filiation Égyptienne de la Tradition Occidentale, manifestée ultérieurement par le symbolisme de la Rose et de la Croix, qui s’est exprimée par le Pythagorisme, (développé ensuite par le Platonisme et ses Écoles Successives : Ésotérisme Chrétien, Gnôse, Kabbale…)
  • « la Tradition Ésotérique Terrestre » car quel que soit le point du globe choisi pour comprendre l’Univers et l’Homme, il s’agit toujours du même Univers et du même Homme et, en conséquence, de la même Connaissance. La forme, donc, par laquelle les Mystères se transmettent au cours des siècles change selon les lieux et les époques mais le fond reste identique.
Cette mise au point, même si elle n’a pas l’heur de plaire à tous, est néanmoins fondamentale pour comprendre le rôle de Saint Germain en Europe, notamment au XVIIIe siècle. En qualité de « Gardien de la Tradition de forme occidentale », il est évident que cet Adepte a voulu influencer les Grands aux fins de changements politiques et juridiques de la Société sans lesquels aucune diffusion de large envergure de l’Occultisme ne pourrait être. C’est en ceci que réside l’essence de la Mission du Comte de Saint Germain. Nous comprendrons celle-ci en servant la mémoire de son disciple, le Comte de Cagliostro.

Celui que l’on appela « Le Divin Cagliostro » est, pour le grand public du moins, la victime d’un double reniement :
  • de l’Église Catholique et Romaine ;
  • des Obédiences Maçonniques Athées et Matérialistes.
Le synonyme de « charlatan » voire « d’escroc » ne lui a pas été épargné et il est regrettable que ceux-là mêmes qui se réclament encore en partie de son Initiation s’appuient, pour étoffer leur bibliographie, sur le document qu’a rédigé en 1791, sous l’instigation de l’Inquisition Romaine, le Père Marcelleo (jésuite de son état ; voir le complot jésuite dénoncé par Louis Claude de Saint Martin) : « Vie de Joseph Balsamo, connu sous le nom de Comte de Cagliostro ». En réalité A. de Cagliostro ne fut en rien un bandit sicilien… L’Église Catholique et Romaine octroya une fausse identité à l’Hermétiste Cagliostro pour salir la renommée de ce dernier et rendre absolument incrédibles ses faits et gestes et donc toute la Philosophie, voire l’Idéologie, dont ceux-ci démontraient le fondement. Dans toute cette entreprise dégradante, l’Église fut soutenue par les Jésuites, jaloux de la Franc-Maçonnerie et dépités de n’avoir pas réussi à l’infiltrer en totalité et à se la soumettre ! (Voir toujours L.C. de Saint Martin). A.de Cagliostro naquit à Malte, ainsi qu’il le déclara lui-même devant ses juges, et fut élevé dès sa prime enfance en Arabie par son tuteur Althotas. Il voyagea beaucoup dans son adolescence et lorsqu’il vint à la Valette (Malte) en 1766 il fut reçu et hébergé, ainsi qu’Althotas, par le Cardinal Pinto, Grand Maître de l’Ordre de Malte, avec des égards qui ne se seraient certainement pas adressés à un bandit sicilien de basse naissance recherché pour ses méfaits. Pinto invita Cagliostro à devenir Chevalier de Malte mais ce dernier refusa et partit pour Rome, accompagné du Chevalier d’Aquin qui s’arrêta en Sicile. A peine arrivé dans cette Cité Antique, il fut invité par le Cardinal Orsini (nul n’ignore que les Orsini constituèrent pendant des siècles la caste patricienne la plus puissante de Rome, donnant trois Papes à l’Église !) qui le présenta à de nombreuses « Éminences » (parmi lesquelles le Cardinal d’York) ainsi qu’au futur Pape Clément XIV… L’élite romaine aurait-elle accueilli ainsi un misérable sicilien, « roturier » de surcroît ? Il est toutefois certain que l’Église, dès cette époque, tenta de courtiser Cagliostro parce que les Connaissances Hermétiques et l’aplomb de ce dernier représentaient un danger réel : ces « sciences cachées » ne pourraient que conforter les agissements de la Maçonnerie dont la turbulence était déjà patente (Bulle du Pape Clément XII de 1738 qui « excommunie » la Maçonnerie) qui rêvait de transformations radicales et par là même la remise en cause du pouvoir de l’Église sur les mentalités et donc sur toute la Société…. Dès ce moment-là commença le complot qui flétrit la mémoire de Cagliostro… Nous pourrions continuer ce récit, montrant à chaque ligne l’imposture flagrante de Rome face aux éloges et témoignages de l’Aristocratie de ce temps sur Cagliostro… Qu’il soit dit, dès à présent, que l’injustice et la rigueur du sort qui se sont acharnées sur Cagliostro se comprennent aisément car la Mission de ce dernier représentait un danger réel :
  • à court terme, pour les Institutions ecclésiastiques, du fait de la remise en cause des Dogmes religieux ;
  • à moyen et long terme, pour toute forme d’Obscurantisme œuvrant par le biais de Sectes à caractère totalitaire, telle celle des Illuminés de Bavière de l’exécrable Adam Weishaupt, et de tant d’autres, communément appelées aujourd’hui « Loges Noires » et dont Louis Claude de Saint Martin illustra l’action pernicieuse dans son récit : « Le Crocodile »
Il s’agissait de prouver par des faits dits « miraculeux » (Magie, Alchimie, médecine ésotérique…) l’existence de Lois Universelles, encore non mises en œuvre par l’humanité mais porteuses de bien-être et d’amélioration de la vie quotidienne, tant sur le plan industriel, économique, médical que… spirituel ! Ceci explique les « prodiges » que firent Saint Germain et Cagliostro : emporter la conviction de leurs contemporains sur la réalité de l’Enseignement de l’Hermétisme.[2] Cet Enseignement n’était pas, nous l’affirmons, l’apanage des Loges Maçonniques (même si certains Frères Maçons y avaient accès) mais celui de la Fraternité des Rose+Croix qui, ainsi que nous l’avons déjà souligné, est le nom par lequel s’est manifestée en Occident la Fraternité Transhimalayenne. Selon ce « Programme » des Adeptes, cet Enseignement devait :
  1. Réunir, dans un premier temps, toutes les Confréries Initiatiques en un consensus d’évidence : unification des Rites et retour à la source, l’Égypte. En effet les Loges Maçonniques vénéraient plus la « lettre » que « l’esprit » de ce qui fondait leurs Rites et Traditions. Sur quoi reposait, en fait, la Maçonnerie introduite en France par les Anglais au début du XVIIIe siècle ? Les élites qui se firent accepter en son sein, croyant y trouver des merveilles et des étrangetés, furent longtemps déçues. Aussi, une Conférence Maçonnique Française invita-t-elle le 10 Mai 1785 à Paris, Alexandre de Cagliostro dont la Connaissance effective « des Mystères » était connue et vantée… En fait, si ce « plan » avait réussi, il se serait agi de largement diffuser, mais aux seuls Ordres Initiatiques (ouverts aux deux sexes), après études sérieuses et épreuves dûment accomplies, ce qui était appelé au XVIIIe siècle « l’Arcana Arcanorum » (connaissance détenue par Saint Germain et Althotas et transmise à Cagliostro, d’Aquin, et quelques autres, relative aux Rites de Haute Théurgie Évocatoire d’une part, à l’essence de l’Enseignement Alchimique, d’autre part et enfin aux Techniques « rapides » de développement spirituel, basées sur la Théurgie, semblables — mais sous une symbolique différente — à celles du Mahamudra de l’Orient).
  2. Ouvrir, dans un deuxième temps, progressivement à toutes et à tous la Connaissance dite « Hermétique » mais qui traitait simplement des Lois Universelles et de leur modalité d’utilisation par l’humanité…
Cette diffusion se devait d’être suivie d’une mise en place d’Écoles qui se serait faite au cours du XIXe siècle. L’ensemble de ces mesures constituait l’accès au « Sentier de la Sagesse » conduisant à une transmutation de la conscience de l’Humanité et abolissant, à terme, la nécessité d’apprendre sur Terre par la souffrance. Dans ce « Programme » gisait une véritable Révolution, le danger le plus redoutable pour les Sectes Noires et pour l’Église Catholique et Romaine, qui fût, dès le IVe siècle après J.C., un des principaux instruments de celles-ci en Occident… Et c’est en cela, dans ce « Programme » magnifique, que résidait le « Secret » de Cagliostro qui a fait couler tant d’encre ; en cela et non dans les documents, saisis par l’Inquisition ou ceux qu’ont pu recueillir ses disciples, car ces papiers ne contenaient rien, malgré les amorces de révélations, qui puisse permettre aux humains, aussi sincères eussent-ils pu sembler, de mésuser de la Science Hermétique… Cette mise en place de l’accession de tous les hommes et toutes les femmes à l’Initiation, c’est à dire à la connaissance des Mystères relatifs aux Origines de l’Humanité et au but que celle-ci poursuit, sans le savoir, selon un Plan Divin mathématiquement déterminé, échoua donc à la fin du XVIIIe siècle. Mais il semble que la patience et la ténacité relèvent du caractère des Adeptes car, un siècle plus tard, Ils offrirent à l’Humanité par la plume d’H.P. Blavatsky la même Connaissance (théorique), présentée cette fois-ci sous une phraséologie orientale : « La Doctrine Secrète ». En ce qui concerne la pratique, Ils veillèrent sur les travaux théurgiques que présida pendant quelques années le père de George Bulwer-Lytton à Londres puis, plus tard, à la fin du XIXe siècle, sur « l’Ordre Hermétique de la Golden Dawn » dont Ils exigèrent très vite la fermeture en raison des abus et déviations de certains de ses membres… Initiés, Adeptes, Émissaires de Lumière, Frères de la Rose+Croix, envoyés des Mahatmas, des Maîtres de Sagesse… combien furent éclaboussés par le doute, les sarcasmes et la calomnie de cette Humanité même qu’ils ont voulu secourir ? Chacun d’eux, dans une lassitude bien compréhensible, aurait pu être l’auteur de ce que Cagliostro a exprimé: « Je passe, faisant autour de moi le plus de bien possible… mais je ne fais que passer…»

 
A. de Cagliostro ne mourut pas le 25 Août 1795, mais fut extrait de sa cellule à cette date. Le certificat mortuaire fut rédigé par les autorités ecclésiastiques qui le libérèrent secrètement sous les pressions de la Franc-Maçonnerie européenne et notamment du gouvernement français (que l’Église craignait en raison de la récente Révolution…). Il partit à Malte, accueilli par les Chevaliers initiés, ses frères, et vécut sous un autre nom dans cette île jusqu’à sa mort survenue le 3 juillet 1800.[3]

 

[1] Extrait d’un article du « Collegium Isiacum Hermeticum Rosæ Crucis » paru dans la revue « Autre Monde » n° 118, 2e Trimestre 1989, à l’occasion du Bicentenaire de la Révolution Française, et publié en Appendice 2 dans le livre « La Lumière sur le Royaume » d’A. Moryason

[2] « Les phénomènes » produits par H.P. Blavatsky au XIXe siècle, voulus et acceptés par les Adeptes pendant un temps, avaient-ils un autre but ? Devant la dérision qu’ils ont suscitée et l’opprobe jetée sur la Fondatrice de la Société Théosophique, on ne peut qu’entériner, 25 siècles après, le constat des Pythagoriciens, ponctuant régulièrement leur discours : « …les hommes sont si méchants… »

[3] A. de Cagliostro n’est pas mort dans son cachot en août 1795, comme les Autorités Romaines l’ont fait croire. Il en est justement sorti par une nuit d’août 1795 sous la pression de la Franc-Maçonnerie européenne, notamment française. Il regagna l’île de Malte où il vécut encore 5 ans sous la protection de l’Ordre de ce nom. Dans la note n°1 de la page 313 du Vol. V (Miscellanées) de « La Doctrine Secrète » – (Éd. française de 1971) – H. P. Blavatsky (qui en savait beaucoup sur Cagliostro) dit, en réponse plus qu’étonnée aux affirmations d’Éliphas Lévi (dans le texte de la p. 313) sur la mort de Cagliostro dans son cachot, ceci : « C’est faux et l’Abbé Constant (Éliphas Lévi) le savait. Pourquoi a-t-il publié un mensonge ? » (« savait » est mis en italique par H.P.B.). Ajoutons, pour la « petite Histoire », que par une fin d’après midi du 16 juin 1798, le Général Bonaparte, en partance pour l’Égypte et venant juste de libérer — pour peu de temps… — l’île de Malte de l’occupation anglaise, rendit visite au vieux Mage paralysé sur une chaise roulante (ses jambes avaient quasiment éclaté sous les tortures vaticanes subies lors de son incarcération à Rome) ; celui-ci lui apprit beaucoup sur son propre avenir, sur le rôle qu’il aurait à jouer dans la nécessaire libération de l’Europe des anciennes féodalités prévalant encore, sur la mise en garde contre la démesure du Pouvoir….